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bouches à feu, parmi lesquelles il fallait compter des sacres et des demi-coulevrines, garnissaient tout l’avant, montées sur deux étages : on en plaçait huit à la poupe ; le même nombre à peu près de chaque bord, tirant par le travers. Dans la chambre de vogue, on trouvait, en outre, un pierrier ou un espingar à la hauteur de chaque banc. Le pierrier était un canon court à large bouche fait pour lancer à très petite distance de 30 à 50 livres de pierres ; l’espingar, d’où est venu le nom d’espingole, donné à une arme de bronze qui n’a disparu que très récemment de notre marine, se posait, comme le pierrier, sur un pivot. Il tirait, sans recul, de petits boulets de fonte dont le poids n’excédait pas une livre. Les naves, que l’on a souvent confondues avec les galions, avaient des sabords et on en a vu porter jusqu’à deux cents bouches à feu.


II

Avec les documens que nous possédons, rien ne nous serait plus facile que de reconstruire de bout en bout une galère, d’en meubler l’intérieur, d’en décrire jusqu’au moindre détail l’armement : nous nous contenterons de montrer la galère en route, exécutant les diverses manœuvres que les incidens de la traversée lui imposent. La leçon n’a pas rebuté Louis XIV le jour où elle lui fut donnée par son général des galères, Louis-Victor de Rochechouart, comte, puis duc de Vivonne, frère de Mme de Montespan. Nous espérons que vous ne serez pas moins désireux de vous instruire que le grand roi. Rabelais, quand il met Panurge aux prises avec la tempête, fait un étrange usage des termes techniques qu’il a saisis au vol ; nous ne vous offrirons que des échantillons rigoureusement authentiques d’une langue qui eut l’avantage de se faire entendre à la fois du Turc, du Barbaresque, du Maure, du Napolitain, de l’Espagnol, du Français, forçats rivés à la même chaîne, rameurs attentifs au même commandement. Pour s’adresser à un tel mélange d’hommes rassemblés par leur malchance de tous les coins du globe, il fallait une langue neutre : la langue franque a été, pendant deux ou trois siècles, presque aussi familière aux marins musulmans qu’aux marins chrétiens. Dragut et Barberousse, le capitaine Pantero Pantera et Barras de La Penne l’ont parlée avec une égale aisance ; s’ils se sont rencontrés aux champs Élysées, ils se seront compris. Aujourd’hui, la langue franque n’est plus, comme le grec et comme le latin, qu’une langue morte : les Coulouglis d’Alger eux-mêmes l’ont oubliée. Ce dialecte si utile, dont l’oracle de Delphes eût pu quelquefois envier la concision, a pris, en 1845, congé du monde