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favoriser. En 1590, dix vaisseaux anglais de la compagnie ottomane rencontrèrent, en revenant du Levant, près du détroit de Gibraltar, douze grandes galères espagnoles, que commandait Jean-André Doria, petit-neveu du célèbre amiral de Charles-Quint. Vice-roi de ces parages, Jean-André guettait, pour l’intercepter, le convoi britannique. Les Anglais se mirent en défense. Le 24 avril, au matin, l’escadre espagnole se dirigea sur eux et le combat commença. La première volée d’un des vaisseaux, anglais balaya le pont de la galère qui venait l’assaillir et perça la coque de part en part. Une volée générale de toute la flotte suivit : l’action continua furieuse durant six heures. Au bout de ce temps, les galères espagnoles étaient si maltraitées qu’elles eurent recours à leurs avirons pour gagner le port le plus voisin, laissant aux Anglais l’honneur d’une victoire complète.

Par un retour à coup sûr bien inattendu, c’est aujourd’hui la marine à voiles qui a cessé de compter parmi les engins de guerre. Que la révolution commencée en 1830 s’achève, que les vaisseaux cuirassés soient obligés demain de faire place aux flottilles, nous nous verrons, à notre grand étonnement, saisis par le vieil orbite et ramenés, après avoir décrit un grand cercle, aux règles stratégiques d’une autre époque. Il y a plus d’un rapport, croyez-le bien, entre cette poussière navale du passé que j’agite et celle qui recommence à couvrir les mers. La préparation et les incidens de la bataille de Salamine, de la bataille d’Actium, de la bataille de Lépante, appellent à plus juste titre les méditations de nos jeunes officiers que les phases capricieuses des grands combats de la marine à voiles : car, dans ces combats plus récens, la part du hasard fut toujours tellement exagérée que l’enseignement philosophique ne s’en dégage pas sans peine. Nous frôlons peut-être en passant, et sans nous en douter, le futur amiral qui commandera un jour nos flottilles. Est-il dans les rangs de nos aspirans, dans ceux de nos enseignes ? Figure-t-il sur la liste de nos lieutenans de vaisseau ? Ce serait miracle s’il fallait le chercher parmi nos capitaines de frégate : nous sommes voués à une si longue paix ! Quel qu’il soit, puisse-t-il, dès à présent, profiter de mes récits : s’il y puisait jamais, à l’heure des décisions suprêmes, une inspiration heureuse, je me croirais amplement récompensé de ma persévérance et de mes peines. La bataille de Lépante n’est donc pas seulement, pour nous autres marins du XIXe siècle, une action dramatique d’un immense intérêt ; nous y cherchons aussi une grande leçon de tactique. Je voudrais, s’il était permis aux hommes de notre temps de rêver de semblables rôles, me placer un instant par la pensée en face des responsabilités de don Juan d’Autriche, me donner l’émotion de ses anxiétés, de ses patriotiques angoisses, m’en pénétrer si bien, que je puisse me