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vit menacé par derrière ; c’étaient les habitans eux-mêmes et les alliés cachés dans leur logis qui venaient de sortir en armes dans les rues. Bientôt les postes répartis dans la ville furent obligés de se replier les uns sur les autres et de se porter vers la mosquée de la porte d’Alger, qui était le point de ralliement général et le réduit de la garnison. Sous la voûte, une pièce de huit était en batterie, la gueule tournée contre le débouché de la grand’rue ; mais la confusion était si grande que les canonniers, craignant de tirer sur les Français en même temps que sur l’ennemi, n’osaient pas mettre le feu à la charge ; on se battait corps à corps. Il y eut un moment critique : deux Kabyles avaient sauté à cheval sur la volée même de la pièce, tandis qu’un troisième plantait son drapeau devant la bouche vis-à-vis du drapeau du 34e qu’un officier tenait près de la culasse ; tout à coup, un adjudant d’artillerie s’élance, abat d’un coup de sabre les deux Kabyles et abaisse la mèche sur la lumière en criant : « En avant sur la mitraille ! » Le coup dégagea la voûte ; les cadavres abattus en obstruèrent l’entrée comme une barricade. Dans le même temps, le colonel Rullière venait d’ordonner aux deux compagnies de grenadiers de se porter rapidement de l’autre côté de la ville en longeant les jardins, de rentrer soit par la porte de Médéa, soit par les brèches ouvertes dans le mur d’enceinte, et de tomber à la baïonnette sur l’ennemi pris à revers. C’était en petit la manœuvre de Richepance à Hohenlinden. La fusillade continuait de part et d’autre ; tout à coup, au milieu des détonations retentissantes, on commença d’entendre des clameurs lointaines, puis le rythme de la charge battue à la française ; alors, à travers les assaillans surpris, les voltigeurs du 35e débouchèrent de la voûte à la rencontre de leurs camarades ; le combat dès lors changea de face ; mais il fallut emporter d’assaut les maisons l’une après l’autre, poursuivre l’ennemi dans les cours, dans les ruelles, de terrasse en terrasse. C’est dans le tumulte de cette dernière crise que furent malheureusement enveloppés des vieillards, des femmes, des enfans. En voyant les corps de ces tristes victimes, le général Clauzel entra dans une indignation dont le colonel Rullière reçut les premières atteintes ; cepen-dant, si quelques-unes étaient tombées sous la baïonnette des soldats exaspérés par l’acharnement de cette lutte, le plus grand nombre avait péri par la main des Kabyles. On en eut la preuve dès le lendemain, lorsque le général en chef, encore une fois déçu dans ses rêves, eut décidé de retirer la garnison de Blida. On vit alors une foule de gens éperdus demander à suivre les Français plutôt que de rester sous le coutelas de leurs féroces voisins.

Le 28 novembre, la retraite se fit en deux colonnes ; l’une, formée