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la grande histoire, c’est ce que le duc de Broglie avait prouvé, — sans parler ici de son premier livre, — dans et dès ses premières Études diplomatiques. Et le Secret du roi nous l’avait fait connaître non moins capable de démêler ce qu’il peut y avoir quelquefois, ce qu’il y a le plus communément de nature assez délicate, pour ne pas dire suspecte, dans ce que l’on appelle une intrigue de cour. Mais ici ces deux qualités, si diverses ou même si contradictoires, apparaissent fondues ensemble, ne puis-je pas dire pour la première fois, quand je songe aux deux beaux livres à côté desquels j’ai cru devoir placer d’abord celui de M. de Broglie : la Révolution d’Angleterre et les Négociations relatives à la succession d’Espagne, deux modèles, certainement, de l’art d’écrire l’histoire, mais le premier peut-être un peu sévère et le second un peu académique ? C’est que personne de nous n’échappe entièrement aux influences de son temps ni ne les domine de si haut qu’il ne finisse par y céder. Dans l’histoire comme ailleurs, nous voulons de nos jours une manière moins tendue, plus de naturel, moins d’artifice, et une reproduction ou une imitation plus fidèle de la vie. Il sera sans doute piquant que nous en devions le modèle au duc de Broglie. C’est en quoi cependant nous ne conseillerons à personne de vouloir l’imiter à son tour, car, pour que la dignité de l’histoire et de l’historien n’y perde rien, il y faut des qualités de goût, de mesure, de finesse, et, par-dessus tout une aisance native, ou, pour mieux dire encore, une grâce d’état que l’on apporte ou que l’on reçoit, mais qui ne n’acquiert pas.

Il nous reste à souhaiter maintenant que le duc de Broglie continue bientôt et achève une œuvre dont lui-même d’ailleurs a déjà marqué les limites et ordonné le plan. Après les causes de la guerre de la succession d’Autriche et ses premières phases, l’historien nous doit au moins l’explication dans le même détail des causes de la guerre de sept ans, afin qu’ainsi, son Frédéric II et Louis XV rejoignant son Secret du roi, nous ayons de la même main l’histoire diplomatique entière du règne de Louis XV. Ceux qui savent combien l’histoire générale du XVIIIe siècle a été faussée par les écrivains du XVIIIe siècle d’abord et les nôtres ensuite, — et ceux qui ne le savaient pas seraient inexcusables de ne pas s’empresser de l’apprendre dans les livres du duc de Broglie, — ceux-là, dis-je, mesureront aisément l’intérêt, l’importance, la nouveauté d’une telle œuvre. Et qui pourrait mieux que lui nous la donner ? d’autant qu’assurément, si ce n’est lui, ce ne sera sans doute personne, — par une crainte bien naturelle de s’exposer désormais à la plus inévitable et la plus redoutable des comparaisons.


F. BBUNETIERE.