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faculté de restreindre à leur gré le droit de réunion et la liberté de séjour dans les districts où se fait sentir l’agitation socialiste ; elles les soumettent à ce régime très dur qu’on a appelé le petit état de siège, et livrent le socialisme à la discrétion de la police.

Les adversaires de M. de Bismarck ont souvent représenté au Reichstag que le socialisme d’état offre moins d’avantages que d’inconvéniens, qu’on ne combat pas efficacement la démocratie sociale en lui empruntant ses principes et ses procédés, qu’un gouvernement qui se charge d’assurer l’ouvrier aura mauvaise grâce à refuser de le nourrir, de le loger, de le vêtir, qu’il est fâcheux de faire naître des espérances qui seront fatalement déçues et de se lier par des engagemens qu’on ne pourra tenir. En ce qui concerne la loi de 1878, les adversaires du chancelier s’accordèrent à dénoncer les funestes conséquences qu’elle pouvait avoir. M. Windthorst déclara que les lois d’exception font toujours plus de mal que de bien, que la répression à outrance avait aidé au développement du nihilisme en Russie, et pourrait avoir les mêmes effets en Allemagne. L’un des chefs du parti libéral, M. de Stauffenberg, affirma qu’en mettant la démocratie sociale hors du droit commun, en lui interdisant de professer ouvertement ses principes, en l’obligeant à envelopper de mystère ses opinions et ses projets, on travaillait pour les anarchistes, pour les hommes de violence et de sang, que l’agitation à ciel découvert est moins dangereuse que les menées occultes et que les complots des sociétés secrètes : « Les mesures que vous avez prises contre la presse socialiste, disait-il le 8 mai 1884, n’ont profité qu’au journal de M. Most, dont les doctrines ont depuis lors pris racine en Allemagne. Si l’on n’abolit pas la loi, il faudra bientôt se résoudre à l’aggraver, car tant qu’elle subsistera, vos agens provocateurs y aidant, la situation ne fera qu’empirer. » Quant au célèbre orateur progressiste, M. Richter, il ne craignit pas d’avancer « que le parti socialiste et la puissance de M. de Bismarck avaient grandi ensemble, que ce parti était comme une ombre de M. le chancelier de l’empire. »

L’attentat du Niederwald et certains incidens qui ont ému récemment toute la population de la riche cité de Francfort semblent donner raison aux adversaires de M. de Bismarck ; mais il ne faut pas attendre de lui qu’il consente à passer condamnation. Il répondra sûrement que, si malgré la loi de 1878, on a vu le nombre des socialistes s’accroître sensiblement au Reichstag et les anarchistes former d’effroyables complots, dont la pensée, il y a quelques années encore, n’aurait pu entrer dans aucune tête allemande, tout le mal doit être imputé aux libéraux, aux progressistes, qui, dans leurs gazettes comme dans leurs discours, se permettent de dénigrer le gouvernement, d’incriminer ses intentions, de déverser sur lui le blâme et le mépris.