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apparente de leurs méfaits retombe sur une administration qui n’y peut rien : les pires ennemis du principe même qui régit la colonie de Gheel, ce sont les pensionnaires libres.

Il serait injuste de juger de la valeur du système de Gheel par la proportion des guérisons obtenues. La raison en est bien simple : Gheel n’a aucunement la prétention de se substituer aux asiles fermés ; l’administration, d’accord avec les aliénistes, reconnaît que Gheel ne peut ni ne doit recevoir certaines formes d’aliénation mentale pour lesquelles l’asile fermé est seul possible, autant dans l’intérêt du malade que dans l’intérêt de la société ; Gheel ne peut donc recevoir que certains aliénés, et, parmi ceux-ci, la quantité des curables qu’on envoie est fort restreinte. En effet, les asiles de Belgique envoient à Gheel autant que possible tous les malades incurables ; du reste, il en était ainsi déjà du temps d’Esquirol ; sur le total de Gheel, les incurables représentent 78 pour 100, le reste étant douteux ou curable. Il est difficile d’obtenir de bien beaux résultats avec des aliénés reconnus incurables ; en outre, ce système consistant à transférer à Gheel les élémens incurables agit doublement dans un sens défavorable à la colonie ; il diminue le nombre des insuccès thérapeutiques des asiles fermés et augmente d’autant celui de Gheel. Il n’est pas douteux que le régime de Gheel ne soit favorable, même aux incurables, mais il l’est plus encore aux aliénés curables, et il y a lieu de regretter que Gheel ne soit pas mieux mis en mesure de faire ses preuves.

En effet, sur le total des aliénés douteux et curables de Gheel, M. le docteur Bulckens a montré que l’on avait obtenu, de 1860 à 1875, une proportion de guérisons s’élevant à 83 pour 100. Nous ne ferons que citer ces chiffres sans les discuter. M. le docteur Peeters les croit trop élevés ; cela est possible : c’est une question de statistique qui doit être aisément résolue. Nous tenons seulement à indiquer que si, d’une façon générale, la proportion des guérisons sur le total des malades entrés n’est pas aussi favorable qu’on le désirerait, cela tient à ce que la majorité des malades envoyés à Gheel sont incurables et ont été reconnus tels. Par exemple, en 1878, les malades envoyés à Gheel par d’autres asiles, d’où ils sortaient, présentaient un pronostic favorable dans 3 cas pour 100, douteux dans 19 cas et défavorables dans 78 cas pour 100. On conçoit aisément qu’avec un pareil personnel de malades, il soit difficile d’obtenir de beaux résultats thérapeutiques. Ainsi, de 1853 à 1870, il y a eu 3,021 entrées d’aliénés à Gheel : les guérisons et améliorations ont été au nombre de 724, soit 24 pour 100. Or, pendant la même période, les guérisons s’élevaient à 38 pour 100 à l’hospice Guislain et à 43 pour 100 à l’hospice des femmes