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était un peu moins étroit, de sorte qu’au lieu d’être obligés de défiler par deux ou trois, les hommes pouvaient marcher quatre ou cinq de front ; les pitons étaient moins dénudés ; mais aussi l’ennemi pouvait s’embusquer plus sûrement derrière les arbres. Il essaya, en effet, d’inquiéter l’avant-garde, sans parvenir toutefois à ralentir sa marche. Il y eut cependant un incident douloureux sur la gauche, où le colonel Marion, fourvoyé dans une gorge latérale avec le 20e, eut quelque peine à se dégager ; cinq blessés étaient tombés aux mains des Kabyles qui suivirent longtemps la colonne en agitant leurs têtes sanglantes. Au pied de la montagne s’étend un plateau couvert d’oliviers sauvages ; c’est un lieu que les indigènes nommaient Zeboudj-Azara. Ils y étaient en assez grand nombre, cavaliers et hommes de pied ; quelques obus les en délogèrent, puis les chasseurs les poursuivirent jusqu’au bord d’un ravin qui arrêta la charge. Ce fut le dernier engagement sérieux ; on ne vit plus dès lors que de petits groupes qui, dans les passages difficiles, essayèrent de se jeter sur les mulets du convoi. La chaleur était forte ; au-delà de Zeboudj-Azara coulaient deux petits ruisseaux troublés par l’ennemi. La route, plus large, contournait une suite de hauteurs dominées par le Djebel-Nador, Tout à coup, sur un rocher isolé, escarpé du côté de l’ouest, apparut Médéa. Le soleil, déjà bas, éclairait d’une lumière dorée le mur d’enceinte, les minarets et les lignes brisées du haut aqueduc qui amène les eaux du nord-est à la ville. L’avant-garde en était encore à 2 kilomètres lorsqu’on entendit soudain le bruit d’une fusillade nourrie, mêlée de quelques coups de canon : c’étaient les gens de Médéa qui, pour faire accueil aux Français, tiraient sur les bandes vaincues de leur maître. Peu d’instans après, trois cavaliers de bonne mine se présentaient devant le général en chef ; ils apportaient la soumission de leurs concitoyens. Des hommes et des enfans groupés en avant de l’aqueduc, regardaient en silence, mais sans crainte, le défilé des premiers pelotons. L’état-major seul entra dans la ville ; les troupes établirent leurs bivouacs, la brigade Hurel en-deçà, sur la route même, la brigade Achard un peu au-delà.


III

L’aspect de Médéa était tout autre que celui d’Alger ; sauf les minarets des mosquées, il n’avait presque rien d’oriental, on eût dit plutôt une petite ville du midi de la France ; au lieu de cubes de maçonnerie d’une blancheur éclatante, des maisons aux murs bruns ; au lieu de terrasses, des toits inclinés couverts en tuiles