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monde. Vous trouvez un diamant, mais le diamant était là il y a mille ans ; vous ne l’avez pas fait en le découvrant. Nous croissons spirituellement jusqu’à ce que nous ayons saisi quelque grande vérité divine, mais elle fut toujours vraie et elle attendait que nous vinssions à elle. Qu’y a-t-il d’étrange et de nouveau dans le monde sauf nous-mêmes ? Nos pensées sont à nous. Dieu nous donne la vie seconde par seconde, mais il nous la donne pour être à nous. » Telles sont les réflexions qu’elle promène sous les grands arbres a par ces journées d’automne, où respirer l’air produit le même effet que de boire un vin généreux, où chaque touche du vent contre notre visage est une caresse, un baiser rapide et doux. Vous avez le sentiment d’une agréable compagnie, c’est un jour qui vous aime. »

Chaque arbre a son caractère, non pas seulement celui de l’espèce ou celui qui résulte des qualités du terrain, mais à proprement parler son caractère individuel ; il y a de curieuses ressemblances sous ce rapport entre eux et l’espèce humaine : une populace qui lutte pour la vie de plus d’une façon et des groupes de citoyens aisés qui se respectent. Certains arbres ont une vaillance naturelle qui leur fait pousser leurs racines dans le sol et leurs branches vers le ciel, quoiqu’ils soient nés sur un rocher ou sur un sable aride. D’autres y deviendraient difformes et rabougris, ceux-là sont forts quand même et se rendent utiles comme les grands hommes de ce monde qui sont montés de la misère à la royauté. Un bel arbre est, en effet, le protecteur d’une foule d’intérêts moindres, c’est une force centrale qui met en mouvement et qui presse des milliers d’activités.

Si un homme ou un arbre a en lui ce qui fait qu’on est grand, qui donc l’empêchera de grandir ? Combien d’arbres chétifs qui ont été plantés avec soin, tandis que le plus noble cèdre peut avoir lutté contre le roc jusqu’à ce qu’il ait trouvé sa nourriture, et quand il a acquis toute sa taille, les obstacles, loin de le gêner, lui servent pour y cramponner ses racines et résister à l’ouragan ! Un caractère ne dépend pas des circonstances extérieures ; vigoureux, il triomphera ; faible, il succombe au moindre choc. La plupart des arbres sont réunis par compagnies et on ne les connaît d’abord qu’en masse, mais l’observation vous apprend que deux arbres, pas plus que deux personnes, ne peuvent être exactement semblables. Et c’est une chose curieuse à constater que les différences de races ; un chêne au milieu de plus du Nord est dépaysé, comme le serait un Anglais chez des Japonais. Il y a une aristocratie parmi les arbres aussi bien que parmi les hommes. Qu’imaginez-vous de plus majestueux qu’une rangée de vieux ormes, serrés, épaule contre épaule, devant une vieille demeure ?

Et la vie des arbres s’entrelace à celle des hommes sous la plume