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à Paris et en province, augmenter de telle sorte que bientôt les aspirantes déçues seront forcées de s’expatrier en masse comme il arrive aux Allemandes qui vont chercher un salaire dérisoire à l’étranger. Et notre pays est cependant fort en arrière des autres pour cette revendication générale des droits de la femme. En Angleterre, une cinquantaine de doctoresses exercent la médecine. Les noms du docteur Frances Hoggan, du docteur Elizabeth Blackwell sont bien connus : cette dernière se met sur la brèche pour traiter, la plume à la main, les questions médico-sociales les plus délicates[1]. L’avenir des femmes célibataires est l’objet de la sollicitude de maintes réformatrices ; nous avons sous les yeux l’éloquente brochure de miss Muller[2] entre autres : elle déclare qu’une élite parmi ses pareilles doit être autorisée, encouragée à quitter la voie étroite des devoirs conjugaux et domestiques, ou tout progrès intellectuel est réprimé par une jalouse tyrannie, pour suivre la voie plus large ouverte sans distinction de sexe à tous ceux qui pensent et qui travaillent. Le lot d’épouse et de mère sera donc désormais abandonné aux personnes inférieures qui acceptent l’effacement de leur individualité, qui s’imposent une besogne spéciale, restreinte, relativement égoïste, au détriment de la grande œuvre accomplie envers la famille humaine en général. Selon miss Muller, il restera bien assez de celles-là, dévouées par choix à la félicité d’un seul, empressées à grossir les embarras qui résultent d’un accroissement de population démesuré.

En attendant qu’elle soit intellectuellement tout ce qu’un homme peut être, la femme s’efforce de ressembler physiquement à son rival. Nous ne parlons pas ici de la croisade contre les arrêts de la mode entreprise à travers le monde par miss King ; certaines dames ennemies d’elles-mêmes espèrent réussir, grâce à un système d’entraînement bien dirigé, grâce à un choix judicieux d’exercices de gymnastique, à supprimer la faiblesse qui est supposée chez elles s’étendre des membres au cerveau. Cette faiblesse, parée de noms charmans, et qui entre leurs mains habiles avait été longtemps une force beaucoup plus réelle peut-être que celle qu’elles songent à acquérir, va être remplacée par le développement musculaire favorable à l’éclosion des facultés créatrices.

Contraste curieux et caractéristique : un autre groupe, masculin celui-là, se presse autour de l’étendard de la Ligue de pureté[3], autour du signe de la Croix blanche[4], annexes des sociétés de

  1. Wrong and right Methods of dealing tvith social evil, by Dr Elisabeth Blackwell, 1884.
  2. The Future of single women, by Henriette Muller, 1884.
  3. Annual Report of the Social purity Alliance. Croydon.
  4. The White Cross Army. London.