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d’autres capitaines remplacèrent à la tête des armées Bélisaire oublié. Il fallut l’arrivée des barbares jusque sous les murs de Constantinople pour rappeler à l’empereur que le vieux soldat existait encore.

Quand Bélisaire commandait en Perse, l’impératrice le fit, dit-on, relever de son commandement. Voici à quelle occasion. Justinien était gravement malade et le bruit de sa mort se répandit dans l’armée d’Orient. Des rapports vrais ou faux accusèrent Bélisaire d’avoir dit que l’année n’accepterait pas le nouveau souverain qui serait intronisé à Constantinople. L’impératrice, qui pensait peut-être que son titre d’Augusta et d’associée à l’empire lui assurerait le trône si elle devenait veuve, ou du moins lui permettrait de désigner le successeur de Justinien et de régner avec lui, s’offensa de ce propos et fit rappeler Bélisaire à Byzance. Mais peu de jours après son arrivée, elle lui faisait donner le commandement des armées d’Italie. Seulement, afin d’attacher davantage Bélisaire à Automne et Automne à elle-même, elle persuada le stratège que c’était à l’intercession de sa femme qu’il devait son pardon.

Saint Sabbas, renommé par ses miracles, refusa de demander à Dieu de donner un fils à Théodora. « Elle ne pourrait mettre au monde, dit-il, qu’un ennemi de l’église. » — Si, d’après les paroles de saint Sabbas, on pouvait montrer dans Théodora une « libre penseuse » ou tout au moins une païenne, à la façon de l’empereur Julien, ce serait aujourd’hui la meilleure des apologies. Malheureusement Théodora ne fut qu’une hérétique, ce qui lui a aliéné et les philosophes et les orthodoxes. L’impératrice suivait l’hérésie d’Eutychès, condamnée par le concile de Chalcédoine en 451. Théodora était monophysite ; elle croyait à une seule nature en Jésus-Christ. Au Vie siècle, cette secte dominait encore dans les provinces orientales de l’empire, et, à Constantinople même, elle avait de nombreux adhérens. Entre eutychéens et orthodoxes, l’animosité était presque aussi ardente qu’entre Bleus et Verts. « Le père chasse le fils, dit la Chronique paschale, et la femme abandonne l’époux. » Une collision terrible ensanglanta Alexandrie. A la suite d’un tremblement de terre qui semblait un avertissement de Dieu, le peuple s’ameuta dans les rues de Constantinople en criant : « Brûlez les actes du concile ! » Théodora ne cessa point de lutter pour le triomphe de sa croyance, mais si grand que fut son ascendant sur Justinien, l’empereur qui, devenu vieux, devait encourir le reproche d’hérésie, resta jusqu’après la mort de Théodora inflexible en son orthodoxie. Il déférait sur tous les points à la décision des évêques de Rome. Après l’élection de chaque nouveau pontife, il lui envoyait sa profession de foi et recevait en retour la bénédiction apostolique. A force d’intrigue, l’impératrice réussit quelquefois à