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fonction civile. Justinien, qui n’aimait point à récriminer, surtout contre sa femme, feignit d’ignorer cette insigne violence, et ne tarda pas à oublier Priscus.

Théodora ne baissait pas moins Jean de Cappadoce, nommé de nouveau préfet des prétoires d’Orient après la répression de l’émeute de 432. Mais, à l’égard d’un tel personnage, elle ne pouvait employer des procédés aussi simples. D’autre part, Justinien était sourd à toutes ses représentations, à toutes ses prières, à toutes ses calomnies, — en admettant, ce qui est douteux, qu’on pût calomnier Jean de Cappadoce ! Théodora conçut une machination abominable. Antonina, qu’elle avait formée à être sa complice toujours prête, parla à Jean de Cappadoce des griefs de Bélisaire contre Justinien, du mécontentement des grands et du peuple, et demanda au préfet d’entrer dans la conspiration qui se tramait pour déposer l’empereur. Séduit par les promesses et les flatteries, le Cappadocien accepta un rendez-vous, qui devait être décisif, dans une maison située hors des murs. Justinien, que l’on n’avait pas manqué de prévenir, envoya Narsès et Marcellus, comte des gardes, pour assister, invisibles, à l’entretien. Convaincu de trahison, Jean de Cappadoce fut destitué de ses charges et dignités et exilé en Afrique. Privé de tous ses biens par la confiscation légale, il mourut dans la dernière misère. Le piège que lui avait tendu l’impératrice était odieux, mais l’indigne ministre méritait tous les châtimens. Le peuple de Constantinople ne plaignit point l’homme, que sa cupidité, son oppression, ses dénis de justice avaient voué à l’exécration. Sa chute fut une délivrance. Si l’on sut qu’on la devait à Théodora, l’Augusta dut être regardée ce jour-là comme une bienfaitrice.

Les colères de Théodora firent malheureusement d’autres victimes. Elle était sans pitié pour ceux qui comprenaient mal ses ordres ou qui ne les exécutaient qu’à demi, afin de les concilier avec les instructions parfois contraires de l’empereur. Le sang de Callinice, d’Arsénius, de Rhodon, suppliciés par ses ordres ou sur ses instances, crie contre elle. — Quant aux exécutions secrètes que rapportent les Anekdota, aux tortures et aux fustigations dont Théodora se serait plu à se donner le divertissement dans les souterrains du palais, ces imputations paraissent rentrer dans ce que M. Renan appelle « des commérages de villes grecques d’une incroyable absurdité. » Gibbon l’a dit judicieusement : « L’obscurité des souterrains est propice à la cruauté, mais elle donne lieu aussi aux calomnies et aux fables. »

À l’exemple de Justinien, Théodora avait peu de scrupule dans l’emploi des moyens et dans le choix des individus. Elle ne regardait pas à la valeur morale du serviteur pourvu qu’il servît bien. C’est ainsi que l’impératrice s’était attaché Antonine, la trop fameuse