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faction bleue, l’autre à la faction verte. Prasiniens et Vénètes, le matin encore ennemis déclarés, font cause commune. Malgré la nuit, une foule tumultueuse se porte devant le palais impérial pour demander la grâce des prisonniers. L’empereur ne donne pas signe de vie. La populace s’ameute alors devant le palais du préfet Eudémon. Celui-ci la fait charger par ses gardes. Un combat s’engage ; les soldats sont massacrés, on met le feu au prétoire. Poussée par le vent, la flamme gagne les maisons voisines. Les émeutiers courent aux prisons, en brisent les portes et jettent hors des geôles l’armée des scélérats. Cette écume humaine se rue au pillage et à l’incendie, hurlant : « Nixa ! Nixa ! (Sois vainqueur ! ) » cri de ralliement adopté par les émeutiers.

Le lendemain 14 janvier, le flot populaire battait les portes du palais. Deux personnages de la cour tentent de parlementer avec les rebelles. Mille voix crient : Tribonien ! Jean de Cappadoce ! Eudémon ! Calopodios ! Dans l’espoir d’apaiser le peuple, Justinien destitue ces quatre magistrats et fait aussitôt proclamer les noms de leurs successeurs. Vains expédiens d’un pouvoir éperdu ! La sédition s’était faite révolte. Il ne s’agissait plus des créatures de Justinien, mais de l’empereur lui-même. Ses concessions ne désarment pas la multitude furieuse.

Le 15 janvier, Justinien, qui flotte entre toutes les mesures, donne l’ordre de réduire l’insurrection par la force. Les Hérules de Mondon, troupe sûre dans les émeutes comme tous les mercenaires, mais sauvage et féroce, sortent du palais et chargent les rebelles. Dans le feu de l’action, les barbares renversent et foulent aux pieds des prêtres, porteurs de saintes reliques, intervenus pour séparer les combattans. Ou crie au sacrilège ; les femmes, les citoyens paisibles, qui jusque-là étaient restés neutres, prennent parti pour les séditieux. Des fenêtres, des toits en terrasse, une grêle de tuiles, de pierres, d’ustensiles, de tisons enflammés, tombe sur les soldats de Mondon. Ils se retirent en désordre vers le palais.

Les deux jours suivans, 16 et 17 janvier, le feu fait de nouvelles ruines, les rebelles font de nouvelles victimes. On égorge ou l’on jette au Bosphore tous les individus soupçonnés d’être partisans de l’empereur. On incendie le quartier des orfèvres après en avoir pillé les maisons. La population honnête émigré en masse et se réfugie sur la rive d’Asie. Des Ilots de feu brûlent sur tous les points de la ville. Les flammes consument des milliers de maisons et d’édifices, Sainte-Sophie, Sainte-Irène, Saint-Théodore, Sainte-Aquiline, les bains d’Alexandre, l’Octogone, les Thermes du Zeuxippe avec toutes ses statues, l’asile d’Eubule, le portique public, le grand hôpital, qui retentit d’horribles hurlemens.

Le 18 janvier, sixième jour de l’insurrection, l’eunuque Narsès