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sur les grandes routes, — ou plutôt il n’y a plus d’état. Partout la misère et l’ignorance, a On abandonne les lettres et les arts, s’écrie Grégoire de Tours. Toutes les sciences, tous les genres d’instruction dépérissent. Les malheureux temps où nous vivons ! »

L’état moral concorde avec l’état social. Les rois donnent l’exemple de tous les crimes et de tous les vices. Leur politique, c’est le guet-apens ; leur diplomatie, c’est la trahison ; leurs finances, c’est l’exaction ; leur justice, c’est l’arbitraire ; leurs mœurs privées, c’est le concubinat et la polygamie. Les chefs valent moins encore que les rois, et nombre d’évêques ne valent pas mieux que les chefs. Papolus, évêque de Reims, se montra si oppressif que la majorité des habitans désertèrent le diocèse ; Fronton, évêque d’Angoulême, avait fait empoisonner son prédécesseur afin d’arriver plus vite à l’épiscopat. Cautinus s’enivrait du soir au matin. — On conçoit que cette occupation quotidienne l’empêchait de perdre son temps, comme les évêques d’Orient en « de puériles discussions théologiques. » — Bagdégisile, Sagittarius, Droctégisile, Frodibert, d’autres prélats encore sont cités pour leurs crimes et leurs débauches. Et ce n’est point une Histoire secrète qui les accuse, c’est l’histoire publique ; ce n’est point un Procope, c’est Grégoire de Tours.

Opprimée par sept colonies de pirates anglo-saxons, toujours en guerre entre elles, la Grande-Bretagne souffre les pires misères. La Germanie en est encore à l’état sauvage ; apparemment ce n’est point chez les Longobards, a plus barbares que la barbarie même, » chez les Avares ou chez les Alamans, qu’on trouverait des exemples de mœurs douces et d’administration régulière. A la vérité, les Visigoths qui occupent l’Espagne et le nord-ouest de la Gaule sont plus civilisés que les Francs. Pourtant chaque translation de pouvoir provoque des émeutes sanglantes dans le palais et dans les camps, et un roi visigoth, dont les paroles sont rapportées par Paul Orose, déplore « que ses sujets soient incapables d’obéissance aux lois, à cause de leur indisciplinable barbarie. » L’Italie trouve quelque calme sous la domination de Théodoric, roi des Ostrogoths. Mais son royaume, élevé par la force, disparaîtra avec lui, et quoiqu’il joue à l’empereur romain, Théodoric a les procédés de gouvernement d’un roi franc, témoin Odoacre, qu’il convie à un festin pour l’y égorger de ses propres mains ; il a les féroces colères d’un vrai barbare, témoin le supplice de Boëce et de Symmaque morts sur la roue. — Quels sont donc au VIe siècle, les héros de l’histoire ! C’est Ghilpéric, c’est Ghlotaire, c’est Théodoric, c’est Théodat, c’est Alboin ; ce sont encore Théodebert, Sighebert, Brunehaut, Frédé-gonde. Tous sont despotes, tous sont parjures, tous sont assassins.