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soleil qui mûrit ses récoltes et de la pluie qui les arrose. Pour fournir à chaque homme les denrées qu’il consomme, il faut une surface d’une certaine étendue, étendue qui peut être restreinte jusqu’à un certain point par le perfectionnement des procédés de culture, mais à laquelle la nature impose partout un minimum. Ainsi, la production de tout ce qui se consomme à Paris, blé, viande, lait, légumes, etc., exige, dans les conditions actuelles de notre agriculture, à elle seule, toute la surface d’un cercle qui aurait plus de cent kilomètres de rayon. Mais cette surface doit également nourrir tous ceux qui la cultivent et les habitans de toutes les villes qui sont situées à moins de 100 kilomètres de la capitale, Versailles, Rouen, etc.

L’aire d’approvisionnement de Paris doit donc s’étendre encore plus et elle rencontre celle d’autres grandes villes, surtout celle de Londres et des cités manufacturières de l’Angleterre. Toutes ces surfaces, s’ajoutant les unes aux autres, finissent par former cette immense aire d’approvisionnement qui est devenue nécessaire aux populations concentrées par le développement de l’industrie et du commerce dans l’ouest de l’Europe. Les diverses productions y sont associées suivant les besoins des assolemens ou séparées suivant les aptitudes naturelles des terres et des climats, mais en général elles se groupent en zones plus ou moins concentriques autour des marchés qu’elles alimentent, et ces zones spéciales : lait, engraissement de bétail, élevage, laine, etc., sont échelonnées d’après la facilité plus ou moins grande avec laquelle leurs produits se transportent.

Parmi ces produits, prenons le blé, par exemple. Il est évident qu’à la limite extrême de la zone qui le fournit, le bénéfice net que donne sa culture est le plus faible possible et que sur le marché central, le prix devra être au moins égal à la somme des frais de production et des frais de transport que le blé de cette terre lointaine doit supporter pour y arriver. Quant aux terres plus favorisées, soit comme facilité de production, soit comme proximité du centre, la culture du blé y donnera un bénéfice net égal à la différence entre le prix de vente sur le marché central et la somme de ces frais de production et de transport. C’est ce bénéfice que les économistes appellent rente, privilège qui résulte de la nature des choses et qui se paie, lorsqu’on achète une propriété foncière, comme on paie une prime pour les actions industrielles qui promettent des dividendes. Or nous avons cru longtemps que notre vieille terre d’Europe, ne pouvant pas augmenter d’étendue, devait toujours conserver sa valeur et même devenir de plus en plus chère, à mesure que la population augmenterait en nombre et en richesse. Nous cherchions à lui faire produire tout ce qui était