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cette baisse des fermages et des propriétés dans la mesure où les droits d’entrée auront cet effet.

Dans la déclaration de principes de l’association pour la liberté des échanges de 1846, Frédéric Bastiat disait : « Nous ne contestons pas à la société le droit d’établir sur les marchandises qui passent la frontière des taxes destinées aux dépenses communes, pourvu qu’elles soient déterminées par la seule considération des besoins du trésor. » Et il ajoute, lorsqu’il trace les bornes que s’impose l’association : « Une autre limite à la liberté des échanges, c’est l’impôt. Il est évident pour tous que la douane peut être appliquée à deux objets fort différens, si différens que presque toujours ils se contrarient l’un l’autre. Napoléon a dit : La douane ne doit pas être un instrument fiscal, mais un moyen de protection. — Renversez la phrase et vous aurez tout notre programme. Ce qui caractérise le droit protecteur, c’est qu’il a pour mission d’empêcher l’échange entre le produit national et le produit étranger. Ce qui caractérise le droit fiscal, c’est qu’il n’a d’existence que par cet échange. Moins le produit étranger entre, plus le droit protecteur atteint son but. Plus le produit étranger entre, plus le droit fiscal atteint son but. Le droit protecteur pèse sur tous et profite à quelques-uns. Le droit fiscal pèse sur tous et profite à tous. »

On a complètement oublié ces prudentes restrictions, lorsqu’en 1861 on a conclu les premiers traités de commerce. On y. a inscrit comme exempts de droits les peaux, laines, suifs, graines oléagineuses, lin, chanvre, bois, que nous importons en quantités considérables et qui, par conséquent, auraient pu fournir au trésor des ressources précieuses, si on les avait soumis à une taxe fiscale de 5 pour 100 ad valorem. Par compensation, on a établi des droits de 20 à 30 pour 100 sur des produits manufacturés qui n’entrent qu’en très faibles quantités et qui, par suite, rendent peu ; ce sont des droits protecteurs, mais ce ne sont pas des droits fiscaux.

De plus, on a oublié, dans les traités de commerce, un principe que nous inscrivons partout à côté de celui de la liberté ; on a oublié l’égalité. On a donné des droits protecteurs à l’industrie manufacturière, et l’on n’a rien donné à l’agriculture. On a ainsi exagéré les développemens de la production industrielle au détriment de la production agricole ; on a attiré artificiellement les capitaux et les ouvriers vers les villes et on a contribué à en dépouiller les campagnes. On a faussé l’équilibre des forces productives. L’agriculture demande aujourd’hui à être l’égale de l’industrie manufacturière. De là cette puissante agitation de l’opinion publique que nous voyons se manifester dans toutes nos campagnes ; et la nécessité s’impose de lui donner satisfaction dans les limites où les engagemens pris avec les autres nations nous le permettent.