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autre côté, ils ne nuiraient pas à nos consommateurs, ils ne feraient pas renchérir leur pain et leur viande autant que le craignent les hommes généreux qui se font les champions de ces consommateurs. Un droit de 5 francs par quintal de blé ne ferait renchérir le pain que de un demi-centime à un centime et demi par kilogramme ; un droit de 2 fr. 60 par quintal de blé, comme celui qui est proposé par le ministère, ne ferait renchérir le pain que de un quart à trois quarts de centime par kilogramme. Un droit de 25 francs par bœuf ne pourrait augmenter le prix de la viande que de dix centimes par kilogramme. Il est vrai que les intermédiaires entre le producteur et le consommateur, — les marchands de grains et de bétail, les boulangers et bouchers, — feront tout leur possible pour tirer parti du préjugé qui admet l’équivalence des droits d’entrée avec l’accroissement général des prix de vente. Mais il sera facile de comparer ce qu’ils paient aux cultivateurs pour leur blé et leur bétail sur pied avec ce qu’ils demandent aux consommateurs pour le pain et la viande en détail et, si l’écart, déjà fort considérable à présent, augmente encore, les consommateurs ont un moyen fort simple de rétablir l’équilibre, c’est de se liguer à leur tour pour former des sociétés coopératives. Je pourrais citer une boucherie coopérative établie dans une petite ville de province qui, déjà depuis plusieurs années, donne à ses sociétaires 40 à 50 pour 100 de bénéfices, bénéfices qui consistent d’une part dans la réduction du prix de la viande, de l’autre dans un dividende qui est distribué à la fin de l’année, proportionnellement à la quantité de viande achetée par chaque sociétaire.

Non, des droits d’entrée modérés, comme ceux qui sont proposés aux chambres, ne coûteront pas un milliard aux consommateurs, comme le disent leurs généreux défenseurs. Ils ne leur coûteront guère plus que la somme prélevée par les douanes à nos frontières. En effet, si nous consommons par an 100 millions de quintaux de blé, dont 00 millions produits en France et 10 millions importés de l’étranger, l’ensemble de notre consommation coûtera en moyenne 26 millions de plus[1]. L’état percevra également 26 millions sur les blés étrangers et il aura autant de moins à demander aux contribuables français. Il me semble qu’une telle ressource n’est pas à dédaigner dans la situation où se trouvent nos finances. La diminution de nos recettes provient en grande partie de la diminution de la valeur des propriétés qui a amené celle des produits de l’enregistrement et du timbre. Or, du même coup, nous pouvons nous procurer une recette nouvelle et ralentir

  1. Soit 0 fr. 26 par quintal d’augmentation pour les 100 millions de quintaux consommés.