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grandes fractions, très distinctes par l’origine, par les habitudes de la vie, par les mœurs : les Arabes pasteurs et nomades, les Kabyles agriculteurs et sédentaires. Dans l’intérieur de la Métidja, la différence entre les races était beaucoup moins tranchée ; confondues par les Français sous le nom de Bédouins, elles avaient en quelque sorte influé l’une sur l’autre, et, sans qu’on puisse dire qu’elles se fussent pénétrées mutuellement, il n’en est pas moins vrai qu’elles s’étaient singulièrement rapprochées. Par exemple, les Arabes n’y étaient plus, en majorité, nomades ; s’il y en avait qui vivaient encore sous la tente, c’était l’exception ; le plus grand nombre avaient des demeures fixes, non pas sans doute des maisons solidement bâties, mais, par une sorte de compromis entre la vie sédentaire et la vie errante, des habitations aussi faciles à construire qu’à détruire : des branchages, des joncs, des roseaux, quelquefois enduits de boue, une couverture de chaume, en faisaient les frais. Ces huttes, ces gourbis, comme on les nommait, on les retrouvait, à très peu près pareils, dans la montagne voisine comme dans la plaine. En vrai pays kabyle, il y avait de vraies maisons, groupées en vrais villages, de même qu’en vrai pays arabe il n’y avait que des tentes réunies en douars. Chez ces Kabyles et ces Arabes de la Métidja, sinon dégénérés, au moins transformés par un contact de tous les jours, les habitudes, comme les habitations, se ressemblaient. Çà et là, dans la plaine marécageuse, inculte, dénudée, des gourbis étaient groupés autour de quelqu’un de ces bâtimens rectangulaires, du nom générique de haouch, construits sur un plan plus ou moins étendu, mais toujours, comme on l’a vu par la Maison-Carrée, par la Ferme modèle, d’après un type identique. Ces haouch ou fermes appartenant, soit aux deys, soit aux chefs de la milice turque, soit aux plus riches des Maures d’Alger, soit aux grands des tribus, étaient spécialement destinés à recueillir les nombreux troupeaux qui paissaient l’herbe de la plaine ou à recevoir le produit des morceaux de terre ensemencés par endroits au milieu de la jachère ; quelques bouquets d’arbres, quelques têtes de palmiers les signalaient au loin. Des caravanes de bêtes de somme, ânes, mulets, chameaux, con-duites par des cavaliers armés, en assez grand nombre pour se défendre contre les maraudeurs, se croisaient, allant vers Alger ou s’en retournant ; agriculteurs, pasteurs, marchands de la ville, se rencontraient et commerçaient en des endroits désignés par le jour de la semaine assigné à tel ou tel marché ; tous s’y rendaient en armes, et souvent il y éclatait des rixes qui se seraient généralement terminées par un échange de coups de fusil, sans la présence et l’intervention des chefs chargés de la police et du maintien de l’ordre.