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le nord-est de la France. Aujourd’hui, la compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée transporte l’hectolitre de Marseille à Vesoul pour moins de 3 francs ; de plus, comme le matériel ne manque jamais, les besoins des marchés de l’Est sont toujours promptement satisfaits. Il en est de même de tous côtés, et les écarts de prix ne dépassent plus jamais 3 francs du marché le plus cher au marché le plus faible. Voilà pour l’intérieur. Grâce aux chemins de fer, il s’est formé, entre tous les départemens de la France, une véritable assurance contre la disette.

A l’extérieur, cette assurance s’est établie entre tous les pays. Tantôt la production de la France surpasse sa consommation, tantôt elle est moindre, mais nous avons plus souvent besoin des autres qu’ils n’ont besoin de nous ; nos importations de blé sont plus considérables que nos exportations, et elles le deviennent toujours davantage. Autrefois, nos principales ressources pour couvrir l’insuffisance de nos récoltes étaient les blés de la Pologne, et surtout ceux de la Russie méridionale, des Principautés Danubiennes et des bords de la Méditerranée. En 1861, on supprima les droits d’entrée, et le blé ne fut plus soumis qu’à une taxe de 0 fr. 60 par quintal métrique. Cela n’empêcha pas la moyenne des prix d’être, pendant les vingt années qui ont suivi 1861, plus élevée que pendant les quarante-deux années où le système de l’échelle mobile avait fonctionné. En outre, le prix ne descendit plus qu’une seule année, en 1865, à 16 fr. 41, tandis que, de 1819 à 1861, il avait été, huit fois, plus bas. En 1850, il avait baissé jusqu’à 14 fr. 32 l’hectolitre ; et, pendant les trois années 1849, 1850 et 1851, la moyenne n’avait été que de 14 fr. 72.

En 1882, notre blé s’est encore vendu à 21 fr. 51, et, en 1883, à 19 fr. 16 ; mais, en 1884, il est tombé au-dessous de 15 francs, et c’est là ce qui est la cause principale de nos sombres préoccupations. Ne remontera-t-il plus jamais, comme beaucoup de personnes paraissent le craindre ? Descendra-t-il même à 14 ou 13 francs, comme l’a prédit un économiste éminent, M. Leroy-Beaulieu, pour l’époque où le réseau des chemins de fer indiens sera plus avancé et où le canal de Suez aura encore baissé ses tarifs de passage ? Ou cette période de dépression ne sera-t-elle que passagère, comme l’a été celle de 1849 à 1851 ? La loi de progression, signalée par M. de Foville, est-elle définitivement interrompue, ou reprendra-t-elle bientôt son cours quand l’équilibre, aujourd’hui rompu entre les moyens de production et les besoins de la consommation, se sera naturellement rétabli ?

Jusqu’en 1866, le blé était souvent plus cher à New-York qu’à Paris. Mais le domaine agricole des États-Unis se bornait alors aux états de l’Est et du Sud. La charrue n’avait pas encore entamé les