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suivaient, le long fusil en bandoulière ; cinq serviteurs l’entouraient, chargés du soin de sa pipe, de son eau, de sa cuisine, de ses tapis de voyage. Précédée d’une avant-garde de cavalerie, la colonne des explorateurs arriva, par la route de Constantine, au pont de pierre de l’Harrach. Au-delà se trouvait une grande construction rectangulaire en assez mauvais état, qu’on appelait vulgairement la Maison-Carrée. C’était là qu’on avait l’intention d’établir la ferme expérimentale ; mais le sol des environs, sec, sablonneux, n’ayant pas convenu aux agriculteurs, on fut d’avis de continuer d’un autre côté les recherches. Elles furent reprises quelque temps après en remontant le cours de l’Harrach ; enfin, sur la rive gauche, au-dessous du confluent de l’Oued-Kerma, la ferme dite du dey, Haouch-Hassan-Pacha, parut réunir les conditions requises pour une bonne exploitation. La construction principale mesurait 100 mètres de long, 80 de large ; un bâtiment secondaire avait 25 mètres de côté. Entre des berges hautes, sans végétation, le fleuve écoulait lentement ses eaux. On fit des essais de labour ; le terrain était couvert d’asphodèles, en certains endroits, de joncs ; néanmoins l’expérience fut jugée satisfaisante. Enfin, le 30 octobre, fut publié un arrêté qui reconnaissait et investissait la Société de la Ferme-Modèle ; 1,000 hectares lui étaient concédés en location, au prix annuel de 1 franc par hectare, pour une durée de neuf, dix-huit ou vingt-sept ans, avec faculté de résiliation pour les preneurs, non pour l’état. La société émit cinq cents actions de 500 francs, qui obtinrent d’abord une certaine faveur ; cependant, il s’en fallait de beaucoup qu’elles fussent toutes placées ; à l’engouement des premiers jours succéda bientôt une période de découragement qui n’eut pas de réaction. On s’aperçut que la position était insalubre, qu’elle était exposée aux attaques des Arabes, bref, que l’affaire était mauvaise. Les premiers souscripteurs perdirent leur argent, et la ferme modèle ne fut plus qu’un poste avancé, utile pour surveiller le débouché du chemin d’Alger à Blida dans la plaine.

Il n’était pas prudent de s’aventurer hors des murailles d’Alger sans escorte ; des soldats isolés, des officiers, avaient été assaillis en-deçà même des lignes françaises. Il n’avait pas été malaisé de désarmer les Maures citadins ; mais les assassins venaient évidemment du dehors. La seule précaution qu’on pût raisonnablement prendre fut d’exiger des gens de la campagne qui voulaient entrer en ville qu’ils déposassent leurs armes dans des postes expressément désignés ; tout indigène armé encourait la peine de mort s’il était pris dans l’intérieur des lignes.