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sanguinaire ; mais, en Égypte comme en Espagne, il s’était fait de l’extrême rigueur, de la répression sans pitié, un système dont l’application à des races qui ne reconnaissent d’autorité que la force, lui paraissait indispensable. Il n’est pas besoin de dire qu’en France, et même à Alger, où la doctrine du général n’était pas sans trouver quelque faveur, ces façons de pacha soulevèrent la réprobation générale.

Vers la fin d’octobre, la nouvelle des tristes événemens de Bône, exagérés, comme celle de la retraite de Médéa, vint ranimer l’agitation autour d’Oran ; mais la garnison était avertie qu’elle allait recevoir des renforts ; trois compagnies, une de sapeurs, une d’artillerie, une de canonniers gardes-côtes, étaient arrivées déjà. Une soixantaine de Turcs s’étaient mis à la solde de la France et formaient le noyau d’une troupe indigène analogue aux zouaves ; en même temps une troupe de trois cents juifs s’organisait en façon de garde nationale. N’osant s’attaquer aux ouvrages d’Oran, malgré ses belles promesses, El-Hameri avait voulu se revancher sur Mostaganem ; mais il en fut pour sa courte honte. Les Turcs le repoussèrent avec perte, et leur chef, le caïd Ibrahim, s’empressa de faire parvenir à Oran un rapport sur l’attaque des Marocains et sur leur défaite. Un plus grand succès encore pour le général Boyer, ce fut la rupture de Mauserli et de Moustafa-ben-Ismaïl avec El-Hameri. Exaspérés par ses exactions et par sa morgue, ces deux grands chefs se séparèrent de lui, reprirent leurs campemens dans le voisinage d’Oran et firent savoir au général que désarmais les marchés de la ville seraient libres comme au temps des beys. Le temps des beys, c’était celui où les Douair et les Sméla, alliés des Turcs qui dominaient à Oran, tiraient un beau bénéfice de cette alliance ; Dieu avait voulu que les Turcs eussent d’autres successeurs ; pourquoi ces successeurs ne ramèneraient-ils pas le bon temps ? Évidemment, il y avait dans ces deux tribus puissantes un courant d’opinion qui les faisaient dériver du côté des Français.

L’année 1831 s’achevait donc, au moins dans le beylik d’Oran, un peu plus favorablement pour la France. Dans la province d’ Alger, une ère nouvelle allait s’ouvrir avec l’année nouvelle ; le 23 décembre, le général Berthezène était officiellement averti qu’il allait être remplacé par le lieutenant-général Savary, duc de Rovigo, et comme celui-ci n’avait pas tardé à suivre la dépêche ministérielle, trois jours après, le 26, le général Berthezène résignait entre les mains de son successeur le commandement en chef.


Camille Rousset.