Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/534

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que voulait lui imposer le gouvernement français, les Tunisiens allaient évacuer Oran et les troupes françaises s’y installer définitivement à leur place, sous les ordres du lieutenant-général Pierre Boyer, l’ancien compagnon d’armes du général Clauzel. En attendant son arrivée, retardée par une indisposition, c’était le maréchal de camp de Faudoas qui devait prendre le commandement par intérim. Sur ces nouvelles et plus encore sur le bruit démesurément grossi des événemens de Médéa et du Ténia, toutes les tribus autour d’Oran s’étaient agitées ; les Bédouins avaient cessé de venir à la ville ; les marchés étaient déserts, l’inquiétude des juifs était telle que, contrairement à tous les usages, ils s’étaient armés et faisaient toutes les nuits des patrouilles. Dès le 10 juillet, un parti d’une centaine de cavaliers vint jusque sous le canon de la place, enlever un troupeau de plus de deux cents bœufs. Le 21, une reconnaissance topographique fut attaquée dans le faubourg de Kerguenta. Le 24, on s’aperçut que l’autre faubourg, celui de Ras-el-Aïn, avait été pendant la nuit entièrement abandonné par ses habitans ; la veille, un de leurs cheikhs était venu demander au colonel Lefol si c’était aux Français ou aux Tunisiens qu’ils devaient définitivement obéir, et comme la réponse du colonel ne lui avait pas paru satisfaisante, il s’était retiré en disant : » Nous ne pouvons plus être vos amis ; nous allons rejoindre nos tribus qui nous rappellent. » Dans les premiers jours du mois d’août, les corvées de travailleurs qui, sous la direction des officiers du génie, abattaient les masures et détruisaient les jardins pour dégager les abords de la place, furent à chaque instant attaquées.

Enfin, le 17, le général de Faudoas prit terre à Mers-el-Kébir avec le premier bataillon du 20e. Cinq jours ; après, les Tunisiens s’embarquèrent, ravis de quitter une ville qui était ravie de les voir partir. Le général de Faudoas était à peine en fonctions depuis un mois, quand l’arrivée du général Boyer mit fin à son commandement provisoire. Avec le pauvre 21e enfin délivré, mais en deuil de son colonel, mort peu de jours auparavant, il prit passage sur une des frégates qui avaient amené les deux derniers bataillons du 20e.

Le général Boyer, revenu en Afrique après l’avoir quittée à la suite du général Clauzel, était un vieil égyptien, plutôt deux fois qu’une, car, après avoir fait partie de la grande expédition de Bonaparte, il venait de passer six ans au service de Méhémet-Ali ; dans l’intervalle, de 1810 à 1813, il avait fait la guerre en Espagne, et comme il s’était montré impitoyable pour les guérillas, il avait reçu des Espagnols le surnom de Pierre le Cruel. Oran étant en relations fréquentes avec l’Espagne, la réputation du terrible général l’y avait précédé ; le peu de Maures qui étaient restés dans la