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au 67e de ligne l’existence légale et rendu la vie au 2e bataillon de zouaves. Le commandant Duvivier était replacé à sa tête, et le capitaine de La Moricière y retrouvait une compagnie. Du col de Mouzaïa date la popularité naissante de ces deux héros de la retraite en même temps que la déchéance morale du commandant en chef.

Duvivier n’était plus un jeune officier comme La Moricière, qui n’avait que vingt-cinq ans ; il en avait trente-sept ; c’était un homme. Depuis seize ans il cheminait lentement dans la carrière obstruée du génie, lorsque l’expédition d’Alger, et surtout la création des zouaves, vinrent ouvrir à son ambition des échappées inattendues. Ce n’est pas que dans son arme l’attention des chefs ne se fût pas portée sur lui : des travaux sérieux, autres que ceux du métier, un tour d’esprit singulier, original parfois jusqu’à la bizarrerie, l’avaient vivement attirée au contraire ; ses notes d’inspection en sont la preuve. Au mois de janvier 1830, lorsque, attaché comme capitaine en second à la place de Verdun, il demandait à faire partie de l’armée d’Afrique, le colonel directeur appuyait la demande par cette apostille : « Partout où M. Duvivier sera employé, il servira avec distinction, avec dévoûment ; mais une sphère étroite ne convient ni à ses goûts ni à l’étendue de son instruction. Je sais qu’une excessive passion pour les études savantes lui fait passer la majeure partie des nuits à accroître ses connaissances. Sous tous les rapports, cet officier sort de la classe commune. Plein d’imagination et d’ardeur, porté par goût aux expéditions d’éclat, d’un tempérament à supporter tous les climats, fort instruit enfin dans les langues orientales, M. Duvivier est certainement du petit nombre de ces hommes courageux et entreprenans auxquels on peut confier avec toute confiance les missions les plus importantes, » Sa conduite, comme son esprit, comme son caractère, comme son ambition, était grave. Ambitieux, assurément il l’était, et il n’affectait point de ne pas l’être ; mais il ne lui convenait pas de s’élever par l’intrigue ; il avait conscience de sa valeur et il le faisait quelquefois trop sentir aux autres ; il était raide, cassant, difficultueux même ; mais il était loyal et sincère ; il ne cherchait pas à gagner l’amitié des gens, mais, quelque ressentiment qu’ils pussent avoir contre lui, la dignité de son caractère forçait leur estime. En deux mots, c’était un homme d’honneur qui n’était pas aimable.

La Moricière était l’un et l’autre. Vif, ardent, impétueux, il avait été trop heureux, lui aussi, d’échapper aux habitudes formalistes et tant soit peu guindées du génie. Sa nature expansive faisait contraste avec la passion contenue, la froideur apparente de son chef ; mais en dépit de leurs dissemblances, ils avaient en commun les grandes qualités de l’âme, de l’intelligence et du cœur. Duvivier, toujours original, avait sa philosophie propre qu’il s’était faite ; au