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Il était tout naturel que l’armée eût attiré les premiers regards du général Clauzel, mais elle ne les avait ni absorbés ni trop longtemps arrêtés même. Tandis qu’en France, à commencer par les gouvernans, les triomphateurs de juillet, fort peu soucieux d’Alger, n’acceptaient que sous bénéfice d’inventaire, et comme une charge embarrassante, cet héritage de la restauration, le général Clauzel était arrivé en Afrique très décidé, non-seulement à garder la conquête, mais encore à l’étendre, d’une façon plus ou moins directe, jusqu’aux dernières limites de ce qu’il appelait le royaume d’Alger. La première besogne urgente avait été d’établir quelque chose qui ressemblât à une administration régulière dans la capitale. De là une foule d’arrêtés toujours incohérens, parfois contradictoires, souvent inexécutables, mais qui témoignaient au moins d’une grande activité et d’un grand zèle. C’est dans ce chaos qu’il faut démêler, trier, classer un petit nombre de mesures plus importantes que les autres. Après avoir, pendant six semaines, essayé de tout régler et de tout décider lui-même, le général en chef prit le parti, le 16 octobre, d’instituer sous la présidence de l’intendant en chef de l’armée, M. Volland, un comité de gouvernement composé de l’ancien consul de France, M. Deval, de l’inspecteur général des finances, M. Fougeroux et de M. Cadet de Vaux, commissaire du roi près la municipalité d’Alger. Le premier était chargé de la justice, le second des finances, le troisième de l’intérieur. Celui-ci, qui était en réalité le maire de la ville, avait fort à faire, car les mesures de police d’un côté, de l’autre les démolitions ordonnées par l’autorité militaire, exigeaient à chaque instant son intervention. Dans les voies les moins étroites, celles qui aboutissaient à Bab-el-Oued et à Bab-Azoun, à peine pouvait-on circuler, il fallut les élargir ; les autres n’étaient que des ruelles ; il fallut multiplier les communications, se donner de l’air, du jour et de la place ; on fit de nombreuses trouées, surtout dans la partie basse de la ville. On donna des noms aux rues, des numéros aux maisons ; le premier de ces soins fut confié à l’érudition historique du commandant Filhon, des ingénieurs-géographes, et du capitaine Sol, de l’état-major ; Didon, Syphax, Jugurtha, Juba, d’autres célébrités anciennes et modernes reçurent ainsi les honneurs du parrainage.

C’était bien de démolir ; mais il n’eût été qu’honnête de désintéresser les propriétaires. Le général Clauzel, dans un esprit d’équité, avait rendu, le 26 octobre, un arrêté qui affectait à leurs créances, à titre d’indemnité ou de gage, des maisons ou des terrains appartenant au beylik, c’est-à-dire au domaine de l’état ; mais à Paris l’arrêté fut déclaré illégal. Puisqu’on voulait soumettre à toute force les habitans d’Alger aux règles de la législation française, puisqu’on leur