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ordre venait d’être donné à tous les marins de regagner la flotte. Un instant ils ont vu dans cet ordre mal connu, sinon le signal d’une entrée en campagne, du moins le, premier acte d’une politique plus énergique. Ils ont été bientôt détrompés lorsqu’ils ont mieux connu la mesure tout administrative de l’amirauté et ils sont revenus à des sentimens plus pacifiques, — sans être moins irrités contre M. de Bismarck et un peu contre la France. Est-ce donc que M. de Bismarck médite réellement de si terribles desseins contre l’Angleterre ? Il a eu ces jours derniers encore l’occasion de s’expliquer dans le Reichstag, et il a tout bonnement déclaré qu’il ne voyait pas pourquoi l’Allemagne entrerait en guerre avec la Grande-Bretagne, que les petits démêlés qui existaient entre les deux pays pourraient toujours, avec un peu de bonne volonté, être réglés pacifiquement. Le cabinet de Londres, quant à lui, est probablement du même avis. Ce qu’il y a de vrai, c’est que cette politique d’extension coloniale qui se déploie aujourd’hui inquiète les Anglais, que, d’un autre côté, il s’est formé en Europe un certain accord pour traiter la question égyptienne avec le gouvernement de la reine, et que, dans cette affaire, la France est la mandataire d’un intérêt collectif. S’il en résulte un certain isolement pour l’Angleterre, c’est qu’elle l’a bien voulu, qu’elle l’a préparé par sa politique, et ce que les partis auraient de mieux à faire serait de demander à leur cabinet de se prêter à une transaction raisonnable dans des affaires où les intérêts européens ont autant de poids que les intérêts britanniques.

Pour le moment, à ce début d’une nouvelle année, il n’y a donc pas là de quoi troubler la paix, qui semble suffisamment garantie sur le continent, et qui parait même assurée en Orient, où s’agite le perpétuel conflit des influences. La Turquie qu’on ne consulte pas toujours, qui est si souvent l’enjeu de toutes les luttes, la Turquie est provisoirement à l’abri des commotions violentes aussi bien que des entreprises extérieures. Elle est assez paisible pour n’occuper le monde que d’une de ces crises de palais qui n’ont certes rien de nouveau à Constantinople et qui ne sont pas moins curieuses, qui ressemblent le plus souvent à une énigme ou à un imbroglio. La scène se passe cette fois entre le grand’ vizir, Saïd-Pacha et son sous-secrétaire d’état, Arménien d’origine, bienvenu à la cour, Artin-Effendi-Dadian. Que s’est-il passé réellement ? Le palais des sultans a ses mystères et la ville de Constantinople, comme toutes les villes européennes, a ses nouvellistes à l’assaut de tous les bruits, curieux de tous les conflits de cour. Les uns ont dit que le grand-vizir, voyant grandir la faveur du sous-secrétaire d’état, l’avait pris en aversion et avait saisi la première occasion pour le traiter avec une certaine brutalité turque ; les autres ont prétendu qu’Artin-Effendi-Dadian avait pris depuis longtemps