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dira-t-on, l’ordre renaîtra de lui-même dans une société renouvelée. Nous l’espérons bien, l’ordre renaîtra quand la France sera représentée et gouvernée d’une manière plus digne d’elle. Pour le moment, nous en sommes encore et plus que jamais aux obscurités inquiétantes d’une transition indéfinie ; nous vivons dans un temps où tout est devenu possible parce qu’il n’y a ni règle ni frein, où l’on s’accoutume presque à voir la violence dans les mœurs, les excitations de guerre civile dans les rues, l’incohérence dans les pouvoirs publics, le désordre dans les finances, sans se demander si tout cela n’aura pas un lendemain redoutable. C’est le triste legs de l’année qui vient de finir à l’année qui commence ; c’est la situation d’aujourd’hui comme d’hier, et avant de se remettre en route pour une étape nouvelle qui conduira on ne sait où, il y a un fait à constater une fois de plus. Il y a toujours à dire que si ces confusions, devenues évidentes partout, sont jusqu’à un certain point l’inévitable effet d’un temps de transition, elles sont aussi, pour la plus grande partie, l’œuvre de ceux qui par complicité ou par imprévoyance, ont laissé le mal s’accomplir ou s’aggraver, sans s’apercevoir qu’ils compromettaient la république elle-même.

A chacun ses œuvres et sa responsabilité. Si la république, quoi qu’en disent les optimistes officiels et quel que soit le résultat du scrutin qui va renouveler le sénat, est arrivée aujourd’hui à une phase aussi critique, peut-être décisive pour son avenir, c’est assurément la faute des républicains, et des républicains seuls, qui n’ont voulu écouter que leurs passions. Certes, si jamais des hommes sont parvenus au gouvernement de leur pays dans des circonstances favorables, relativement faciles, ce sont bien ceux qui règnent depuis quelques années en France. Au moment de leur avènement au pouvoir, ils trouvaient des adversaires abattus, trompés dans tous leurs calculs, déçus dans leurs espérances, puissans encore, il est vrai, par le talent, par l’importance sociale, mais réduits au simple rôle d’une minorité dans les assemblées. Ils trouvaient des institutions établies, la république régulièrement constituée et à peu près acceptée. Pour la première fois, ils avaient cette bonne fortune d’être au pouvoir sans violence et sans insurrection, sans avoir bouleversé le pays pour se frayer un passage. La France elle-même, à peine remise de ses désastres, ne demandait pas mieux, en vérité, que de vivre en paix à l’abri des institutions nouvelles, et, par le dévoûment qu’elle venait de montrer, par son énergie au travail comme par son bon esprit, elle avait reconquis en peu d’années l’estime du monde. Ses finances avaient été si habilement restaurées par une politique prévoyante qu’elles avaient pu suffire au paiement d’une immense rançon, à la reconstitution du matériel de guerre, à la réorganisation de l’armée, et que, même après avoir suffi à tout notre pays se retrouvait avec un des premiers crédits