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toutes les bouches se sont fermées ; elle a voulu voir ce qui n’était pas, elle ne verra même pas ce qui est. Ce qui a achevé de tuer la commission, c’est que le général en chef ayant couché la première nuit chez le général Tholozé, sa suite a bu le vin, emporté des matelas, des rideaux, des fusils, enfin pillé plus que nous ne l’avions vu faire dans aucune maison habitée. » L’enquête fut close le 24 septembre ; la commission désappointée mit plus de temps qu’il n’aurait convenu à conclure ; enfin, pressée par le général en chef, elle fut réduite à constater qu’à part l’enlèvement de quelques armes et de quelques bijoux abandonnés par le dey et les officiers de sa maison, il n’avait rien été soustrait des trésors de la Kasba. Le 21 octobre, un ordre du jour porta cette déclaration à la connaissance du public. L’armée avait pu être sensible à la calomnie, mais elle se sentait au-dessus de cette prétendue réhabilitation ; elle la laissa tomber avec une dédaigneuse indifférence.

Les conquérans d’Alger et leur nouveau chef n’avaient d’ailleurs pas attendu, pour se juger réciproquement et s’apprécier à leur vraie valeur, la conclusion de la commission d’enquête ; peu de temps avait suffi pour dissiper la fâcheuse impression des premiers jours. Le général Clauzel arrivait avec une belle réputation militaire ; quinze ans de retraite ne lui avaient rien enlevé de son activité ni de sa vigueur. « Beau profil, notait un observateur qui le voyait pour la première fois ; il n’a rien de vieux, de cassé ; les cheveux seulement gris, les yeux vifs, le mouvement prompt. » Il avait cinquante-huit ans, mais il paraissait jeune à côté de gens qui n’avaient ni plus ni même autant d’âge : le général Delort, « cheveux blancs, tête carrée ; » le général Boyer, exactement son contemporain, a gros homme, vieux, figure dure ; » le général Cassan, ou Cassé, comme disaient les soldats, un « exhumé de la retraite. » Tels étaient les trois principaux compagnons qu’il avait amenés de France pour seconder et partager sa fortune. Le général Delort fut chef d’état-major général ; le général Boyer remplaça le duc Des Cars à la tête de la 3e division ; quant au général Cassan, qui n’était que maréchal de camp, le bon vouloir du général Clauzel tenta, pour l’aider à gagner sa troisième étoile, une innovation qui ne fut heureuse ni pour lui ni pour le service. Une décision du 14 septembre constitua sous son commandement une quatrième division, faite d’emprunts à la deuxième et à la troisième. Le pauvre homme était dans un tel état d’affaissement physique et moral qu’il lui fut impossible de s’acquitter de son emploi ; moins de deux mois après, la 4e division fut dissoute. Dans l’ignorance où l’on était à Paris du véritable état des choses en Afrique, le général Clauzel avait reçu des pouvoirs très étendus, entre autres celui de pourvoir aux