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frères chasseurs, de ne jamais divulguer les secrète sous peine « de voir ses propriétés détruites et d’avoir lui-même le cou coupé jusqu’à l’os. » Robert Nelson publia une déclaration d’indépendance et fit appel aux patriotes restés dans leurs foyers, mais il n’avait pas de quoi leur fournir des armes ; tout se borna à quelques engagemens de détail sur la frontière et le mouvement fut étouffé dans son berceau. Sir John Colborne proclama la loi martiale, arma les volontaires, et, à la tête de huit mille hommes, marcha vers le pays insurgé. Déjà tout était rentré dans l’ordre, ce qui ne l’empêcha pas de promener partout l’incendie, sans plus d’égards pour l’innocent que pour le coupable. « Pour avoir la tranquillité, disait le Herald de Montréal, il faut que nous fassions la solitude. Balayons les Canadiens de la surface de la terre ! » Les prisons s’emplirent de suspects. Ce n’était pas assez pour l’oligarchie, qui voulait que cette fois le sang coulât sur l’échafaud. Trois juges canadiens, MM. Panet, Bedard et Vallères, eurent le courage de contester la légalité de l’ordonnance concernant l’habeas corpus : ils furent suspendus, de leurs fonctions, les prisonniers traduits devant les officiers de l’armée qui en condamnèrent quatre-vingt-dix-neuf à mort. Le Herald rayonnait. Le 19 novembre 1838, il publia ces lignes qui respirent un véritable cannibalisme politique : « Nous avons vu la nouvelle potence et nous croyons qu’elle sera dressée aujourd’hui en face de la prison ; de sorte que les rebelles sous les verrous jouiront d’une perspective qui, sans doute, aura l’effet de leur procurer un sommeil profond avec d’agréables songes. Six ou sept à la fois seraient là tout à l’aise, et un plus grand nombre peut y trouver place dans un cas pressé. » Douze des condamnés périrent sur l’échafaud, cinquante-huit furent déportés en Australie, le reste obtint sa mise en liberté sous caution. Le ministère tenait son prétexte, et, comme l’échauffourée de 1838 avait amoindri l’intérêt que l’opposition pouvait témoigner encore aux Canadiens, il n’hésita plus et proposa le bill d’union qui consacrait à peu près les conclusions du rapport de lord Durham. Envoyé à Québec comme gouverneur, M. Poulet Thomson obtint aisément l’approbation du conseil spécial ; dans le Haut-Canada, les chambres discutèrent quelque temps, mais le gouvernement finit par l’emporter. Quant à la chambre des communes, elle adopta et presque sans débat le bill d’union. Il en fut autrement à la chambre des lords, où le duc de Wellington, lord Ellenborough, lord Brougham et lord Gosford le combattirent hautement. Lord Ellenborough démontra qu’on ne pouvait imposer aux Canadiens un faux semblant de gouvernement représentatif et que le monde entier regarderait comme une fraude électorale la décision qui attribuait aux deux provinces la même représentation, bien que