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meilleur culte… » J’ai de suite renoncé à l’usage du sucre raffiné, mais taxé, et j’achète pour l’usage de ma famille du sucre d’érable. Je me suis procuré du thé venu en contrebande, et je sais plusieurs personnes qui en font autant. J’ai écrit à la campagne pour me procurer des toiles et des lainages fabriqués dans le pays ; ., j’ai cessé de meure du vin sur ma table. »

Lord Gosford fit de sincères efforts pour se concilier la sympathie des Canadiens par une politique de prévenances et de bons procèdes : il invita MM. Papineau et Viger, visita les classes du séminaire de Québec, donna un grand bal le jour de Sainte-Catherine et témoigna aux dames canadiennes des attentions qui contrastaient fort avec la morgue de la caste officielle. Le mécontentement des bureaucrates ne connut plus de bornes lorsqu’ils le virent répondre d’abord en français, puis en anglais, à l’adresse de l’assemblée et mettre beaucoup de bonne grâce à lui accorder l’argent qu’elle réclamait pour ses propres dépenses : ils formèrent, à Montréal, un corps de carabiniers de huit cents hommes au cri de : « Dieu sauve le roi ! » et le gouverneur dut recourir à une proclamation pour le dissoudre. Malheureusement les instructions du ministère heurtaient de front toutes les prétentions de la chambre, leur communication produisit un mécompte général, et la presse constitutionnelle fit chorus avec les journaux intransigeans. Le conseil législatif persistait à rejeter la plupart des projets votés par les représentans du peuple, du sorte que ceux-ci purent croire que lord Gosford jouait un double jeu. Il avait sollicité d’un ton presque suppliant le vote des subsides pour l’arriéré et l’année courante : le groupe des vieux tories, ceux qu’on appelait l’opposition loyale de sa majesté, le parti de M. Bedard, s’unirent vainement en ce sens ; l’amendement de M. Vaufelson n’obtint que 47 voix contre 27, et la majorité vota seulement six mois de subsides qui furent refusés par le conseil. « Le même génie malfaisant, s’écria M. Papineau, qui jetait, malgré elles, les anciennes colonies dans les voies d’une juste et glorieuse résistance, préside à nos destinées ! .. Ne nous endormons pas sur le bord d’un précipice, ne nous abandonnons pas à un rêve trompeur ; au lieu de toucher des réalités enchantées, nous roulerions dans le gouffre. » Paroles téméraires qui portaient en elles le germe de l’insurrection et qui rappellent le verset légendaire de l’hymne indien, qui consumait tout homme assez audacieux pour le chanter !

La situation des Canadiens devenait de plus en plus critique ; ils avaient cru pouvoir compter sur l’appui des libéraux du Haut-Canada, dont le chef, M. Mackensie, paraissait naguère aussi puissant que Papineau ; mais le gouverneur de cette province, sir Francis Bond Head, avait dissous la dernière chambre et fait élire