Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appris la stratégie constitutionnelle, savait maintenant choisir son terrain de combat, possédait le secret des retraites et des retours parlementaires. Le point le plus vulnérable, c’était le budget de la liste civile, qui renfermait toutes les autres questions, qui, à d’autres époques, ‘en d’autres pays, avait soulevé de si formidables tempêtes : les Canadiens portèrent leurs attaques de ce côté, soutenus par cette conviction profonde que les abus seuls sont révolutionnaires et les réformes conservatrices, que chaque nouvelle prérogative budgétaire arrachée au pouvoir fortifiait leur nationalité, qu’en un mot rien ne serait fait tant qu’ils n’auraient pas la haute main sur les finances.

La question venait, pour ainsi dire, au-devant d’eux ; car, pendant les dernières années, les dépenses avaient de beaucoup excédé les sommes votées par la législature, si bien que l’année 1817 s’annonçait avec un déficit de 120,000 livres sterling. La science budgétaire était encore dans l’enfance, à ce point qu’on ne mettait pas sous les yeux des chambres les comptes des dépenses, les traitemens du clergé, les pensions, et que lord Bathurst, consulté par Sherbrooke, répondait que le silence de celles-ci pouvait passer pour une approbation tacite. Le dissentiment le plus complet ne tarda pas à régner entre le conseil législatif et l’assemblée, le premier réclamant des subsides accordés en bloc et pour la vie du roi, la seconde voulant les voter soit par articles, soit par chapitres et tous les ans ; car, observait-elle, la dépense de l’état formant la presque totalité de la dépense publique, une fois celle-ci votée pour la durée du règne, le parlement demeurait désarmé en présence du gouverneur et n’avait plus aucun moyen de contrôler les fonctionnaires. Les successeurs de Sherbrooke, le duc de Richmond, Monk, Maitland, ayant pris parti pour le conseil, le peuple, après plusieurs dissolutions successives, renvoya les mêmes députés et l’on continua à tourner dans un cercle vicieux. La situation s’aggrava avec le comte de Dalhousie, qui fut un second Craig avec des dehors plus étudiés et plus doux : il arriva, vers la fin de 1820, muni d’instructions du bureau des colonies, qui pouvaient se résumer ainsi : « Ne se prêter à aucune concession sur la question des finances, continuer à encourager le conseil législatif dans son opposition contre l’assemblée, tout refuser à celle-ci et mettre les ministres à même de prouver au parlement impérial qu’il fallait détruire l’œuvre de Pitt, révoquer la constitution de 1791. »

Peu s’en fallut que cette combinaison n’obtînt un plein succès dans le courant de l’année 1822 : un certain Ellice, gendre de lord Grey, ayant réussi à persuader au ministère que le moment était favorable, celui-ci présenta à la chambre des communes le bill