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sous l’administration de sir James Craig. À cette époque, tout étranger au Canada passait pour un émissaire de la révolution et on lui courait sus, de même qu’en France tout inconnu était considéré comme un-agent de Pitt et Cobourg. C’est en 1793 que, pour la première fois, le budget est mis sous les yeux des contribuables : les recettes ne dépassent pas sept à huit mille livres. Les Canadiens ne connaissent guère alors l’impôt que par ouï-dire, et, aujourd’hui encore, ils continuent à repousser le système de la taxe directe, la taille, comme on l’appelait jadis ; c’est le règne de l’âge d’or en matière de finances.

A lord Dorchester succéda le général Robert Prescott, homme d’un caractère ombrageux, hanté sans cesse par le cauchemar de la révolution française, et qui ne voyait que complots partout. Une rébellion insignifiante, à propos d’un bill sur les chemins publics, que quelques-uns avaient interprété comme un retour au système des corvées, porta au comble l’alarme de ce gouverneur, qui, sous prétexte d’une conspiration plus que ridicule, fit juger, condamner, exécuter avec un grand appareil militaire un enthousiaste américain, nommé Mac-Lane. Après la pendaison, le bourreau lui trancha la tête, la montra au peuple ; puis il ouvrit le cadavre, en arracha les entrailles, les brûla, et fit des incisions aux quatre membres. Loin de frapper de terreur la population, ce procédé barbare, inconnu au Canada, excita en elle un sentiment d’horreur et, de pitié. Mac-Lane passa pour un pauvre halluciné que l’on avait attiré dans un guet-apens : son dénonciateur, un certain Black, membre de la législature, qui avait joué le rôle de traître dans ce mélodrame, fut repoussé par tout le monde, et, malgré l’or qu’il avait reçu, tomba dans une profonde misère.

Cependant la loi contre les étrangers ne suffisait plus à Prescott, qui fit conférer au conseil exécutif ou à trois de ses membres le droit d’envoyer en prison tout citoyen suspect de pratiques séditieuses. Il fallait, disait-il, « neutraliser les efforts des émissaires que la révolution française avait répandus partout pour troubler l’ordre social. » Le conseil exécutif se rendait coupable de prévarications dans la régie des terres publiques, s’attribuait, sous des noms d’emprunt, ou donnait à ses amis de vastes domaines : Prescott désapprouva la régie des terres, dénonça les abus, reçut des instructions pour y remédier et se trouva bientôt en lutte ouverte avec le conseil, qui réussit, en 1799, à obtenir son rappel. A son tour, l’assemblée sortit de la réserve où elle se tenait depuis suc ans ; d’assez vifs débats s’engagèrent sur la question des biens des jésuites et au sujet d’un député condamné pour escroquerie : elle l’exclut, il fut deux fois réélu, et il fallut qu’une loi spéciale le rendit inéligible. Les élections générales de 1800