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où ils s’élevaient violemment contre cette loi : elle instituait, disaient-ils, une véritable tyrannie civile et politique au Canada, en accordant l’existence légale « à une religion qui a inondé l’Angleterre de sang, répandu l’hypocrisie, la persécution, le meurtre et la révolte dans toutes les parties du monde. » Rien ne pouvait aliéner davantage le clergé et-la noblesse, déjà ralliés à la métropole par le maintien de leurs privilèges, persuades qu’après tout, mieux valait une demi-liberté sous une monarchie que l’oppression complète sous une république. Ni les adresses postérieures du congrès, ni les promesses tardives des commissaires américains ne parvinrent à effacer le mauvais effet produit par cette déclaration. Cependant, le peuple des campagnes montrait au début d’autres dispositions ; fascinés par ces mots magiques d’indépendance, de révolution, nombre d’habitans embrassèrent la cause des Américains et empêchèrent les seigneurs de se battre pour l’Angleterre ; d’autres affirmaient leur volonté absolue de rester neutres, car au fond de leur cœur palpitait la haine traditionnelle de l’Anglais et le spectacle d’une lutte fratricide n’était pas pour leur déplaire, puisque, de toute façon, elle devait aboutir à l’affaiblissement de l’ennemi héréditaire. Mais, à la fin de la première campagne, les congréganistes, c’est-à-dire ceux qui partageaient les idées du congrès, étaient de plus en plus clair-semés : les hautes classes reprirent leur ascendant, les partisans des rebelles passèrent à l’inaction, beaucoup d’indifférens écoutèrent la voix de leurs seigneurs, et les milices canadiennes eurent presque tout l’honneur de la défaite des Américains à la Longue-Pointe, puis sous les murs de Québec. Quant aux marchands anglais, leur conduite présente un contraste frappant avec celle des anciens colons ; mécontens de l’acte de 1774, furieux de n’avoir pas obtenu le singulier régime parlementaire auquel ils prétendaient, la plupart font des vœux secrets pour la révolution, et, comme le dit l’historien canadien Garneau[1], ils attendent la fin de la lutte, prêts à souffler le chaud et le froid ; à crier : « Vive le roi ! » ou : « Vive la ligue ! »

En France, le ministre des affaires étrangères, M. de Vergennes, proposa au roi de profiter de l’occasion pour reconquérir le Canada,

  1. J’ai suivi pas à pas dans cette étude le livre de M. Garneau, qui comprend l’histoire du Canada depuis les premiers temps de la colonisation française jusqu’à l’année 1840 (3 vol. in-8o Montréal ; Beauchemin, éditeur). Inspiré par le patriotisme le plus pur, très complet et écrit avec une rare impartialité, cet ouvrage a valu à son auteur le titre d’historien national que ses compatriotes lui ont justement décerné. On peut consulter aussi avec fruit une excellente biographie de M. Garneau par M. Chauveau, ancien ministre (1 vol. in-8o), les Portraits politiques de M. David, ainsi que le travail de M. Robert Christie : a History of the late province of lower Canada, parliamentary and political (6 vol. in-12).