Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/434

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comment, après les premières émeutes, après la réunion d’un congrès de leurs députés à New-York, les Américains résolurent de cesser tout négoce avec l’Angleterre, de ne plus consommer ses marchandises. La peur n’est pas toujours mauvaise conseillère : la crainte de pousser les Canadiens à s’unir aux révoltés décida les ministres de George III à se départir de leurs rigueurs envers les premiers. Lord North proposa le bill de 1774, qui reculait les limites de la province de Québec, assurait aux catholiques les droits stipulés par la capitulation de 1760, les dispensait du serment du test, confirmait les lois criminelles anglaises, rétablissait les lois civiles françaises, en y ajoutant la faculté de tester de tous ses biens et en conservant à la noblesse le régime féodal et les tenures seigneuriales, au clergé la dîme et les séminaires ; il créait aussi un conseil composé de dix-sept membres au moins, catholiques ou protestans, chargé de faire avec le gouverneur, au nom du prince et sous son veto, les ordonnances et règlemens nécessaires, sans toutefois qu’il pût imposer aucune contribution, sauf pour l’entretien des chemins et édifices publics. A la chambre des communes, les whigs, qui défendaient les libéraux américains, s’opposèrent à ce que justice fût rendue aux Canadiens ; seul parmi eux, Fox n’admit pas qu’on eût deux poids et deux mesures, que la religion catholique devint un obstacle à la formation d’une chambre représentative au Canada. Lord North ayant observé « qu’il y a quelque chose dans cette religion qui fait qu’un gouvernement protestant sage ne peut établir une assemblée composée uniquement de catholiques, » un membre de l’opposition répliqua maladroitement : « Mais de ce qu’on ne peut donner au Canada la meilleure assemblée à cause du nombre des catholiques, s’ensuit-il qu’on ne puisse lui en donner aucune ? » Il était impossible de dire plus clairement qu’on entendait par liberté le droit de tyranniser ses adversaires. Vainement lord Chatham déclara la loi « cruelle, oppressive, odieuse, » et en appela aux évêques d’Angleterre pour qu’ils s’opposassent à l’établissement d’une religion ennemie dans un pays plus vaste que la Grande-Bretagne. L’acte passa, malgré les protestations de la ville de Londres, et George III le sanctionna en ajoutant « qu’il était fondé sur les principes d’humanité, d’équité les plus manifestes, et qu’il ne doutait point qu’il ne calmât l’inquiétude et n’accrût le bonheur de ses sujets canadiens. »

Le bill de 1774 n’aurait peut-être pas suffi à retenir ces derniers dans l’obéissance, si la maladresse fanatique des colons de la Nouvelle-Angleterre ne les avait détournés de faire cause commune avec eux. A peine réunis en congrès, les députés américains votèrent une déclaration des droits de l’homme et une série de résolutions