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se révéla à lui, à la foire de Southwark. Il l’a fixée, par deux fois, copiste fidèle et peut-être un peu troublé ; ni avant, ni depuis, il ne l’a retrouvée sous son crayon.

Toutes les classes de la société sont confondues à la foire de Southwark : elles se mêlent encore plus intimement sur les gradins du Cockpit-Royal. Des bancs circulaires dominent et entourent une sorte de trou dans lequel sont enfermés les deux vaillans petits champions. Ces combats de coqs durent depuis plus de six cents ans ; ils ont été institués, dans l’origine, pour donner aux enfans l’exemple du courage. Que dirait Fitzstephen, l’écrivain du XIIe siècle, qui nous raconte ce détail, s’il revenait au monde et voyait les mauvaises passions peintes sur la figure des habitués du Cockpit ? L’argent passe rapidement de main en main. Lord Albemarle échange ses banknotes contre les guinées d’un voleur de grand chemin, ramassées dans le sang la nuit dernière ; une femme, la duchesse de Deptford, se montre encore plus âpre que les hommes. Les figures offrent une gamme d’émotions qui monte de la curiosité niaise du badaud à la frénésie morbide du joueur, pour retomber sans transition à l’engourdissement stupide du décavé. Un parieur, tremblant des pieds à la tête, veut prendre une prise et inonde de tabac le spectateur placé au-dessous de lui. Un drôle malpropre, qui s’appuie sans façon sur l’épaule d’un vieux seigneur goutteux, est sur le point de culbuter avec lui dans l’arène. On ne demande à personne ni d’où il sort, ni d’où vient son argent : l’honneur consiste à payer comptant. Regardez ce malheureux qui fait une si triste figure dans le panier suspendu à la voûte ; ce panier est le pilori du parieur insolvable. Comme dans toutes les foules, de Hogarth, un pickpocket, sournois et ricaneur, est le seul qui soit sûr de gagner au jeu.

L’ivrognerie s’étend à toutes les classes, mais elles ne s’y livrent pas en commun. Considérons d’abord quelques ivrognes de la bonne société que Hogarth offre à notre étude dans la Conversation de minuit. C’est une réunion de sept ou huit hommes qui se sont rencontrés en apparence pour parler de politique et de littérature, en réalité pour fumer et pour boire. Tous sont des gentlemen ; tous appartiennent à la haute bourgeoisie on aux professions libérales. Dans ce buveur à mine cléricale nous reconnaissons un défroqué, l’orateur Henley, que son ambition chagrine, son humeur indépendante et ses goûts libertins ont jeté hors des rangs de la hiérarchie ecclésiastique et même hors de tous les sentiers battus. Il a ouvert une boutique d’éloquence profane et sacrée, où la foule se presse pour entendre ses impertinentes et scandaleuses attaques contre les hommes en place et en vue. Plusieurs fois par semaine, cette brebis galeuse de l’église, cet enfant perdu de l’université