Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hogarth venait d’achever. « Quand on a un pareil talent, dit malicieusement le peintre ordinaire de Sa Majesté, on peut très bien épouser une fille sans dot ! » La cause de l’artiste était gagnée, mais non celle du gendre. Peu à peu, grâce à la médiation de lady Thornhill, tout s’arrangea, et la lune de miel du jeune couple brilla dans un ciel sans nuages. Le voici donc marié, heureux de l’être, jouissant de ce modeste et tranquille bonheur qui étouffe, dit-on, le génie, mais où prospère et grandit le talent laborieux. L’art a plusieurs voies : il est temps pour l’artiste de choisir la sienne. Jusque-là, il a tâtonné. Nous l’avons vu débuter dans l’allégorie ; dès 1723, il reprend pied dans le monde réel, et commente à sa façon les petits événemens du jour et les mésaventures comiques des hommes en vue. Il illustre les vers d’Hadibras, et apprend ainsi à raconter avec le crayon. Les gens pratiques lui conseillent de s’adonner au portrait. Ce genre a déjà, sur les autres, l’avantage de nourrir tant bien que mal ceux qui le cultivent. Le bourgeois anglais de 1730 se fait peindre en costume du dimanche, entouré de ses enfans ou de ses amis. On appelle « assemblées, » ou encore « conversations, » ces agglomérations de figures humaines qui doivent toutes se trouver sur le même plan et faire face au spectateur. Un profil, un simple trois quarts, et le bourgeois qui a fait la commande réclamerait une réduction proportionnelle sur le prix convenu. Tristes clients ! triste peinture ! Aussi Hogarth s’écrie-t-il qu’il ne « descendra pas à être fabricant de portraits. » Il y descend pourtant plus d’une fois : c’est sans doute lorsqu’il y trouve doublement son compte, en utilisant pour son éducation d’artiste des modèles qui paient la séance. On l’admet à Newgate dans la cellule des condamnés à mort, qui sont flattés de consacrer à une « pose » leur dernière soirée. Ces faces flétries l’attirent, le fascinent. Il en compte les taches et les trous, scrute ce réseau de muscles où chaque pensée mauvaise a imprimé un pli, creusé une ride, et sur lequel sont écrits le passé et l’avenir d’une âme. Il considère comment le vice et le crime ont repétri ces figures faites par Dieu à sa ressemblance ; il veut savoir comment l’enfant de quatre ans, aux cheveux clairs, aux joues lisses et fraîches, qui sourit à tous et auquel tout le monde sourit, est devenu l’être maudit et sinistre sur les traits duquel le bourreau va bientôt abaisser le bonnet noir, pour en dérober l’horreur suprême aux assistans. C’est là, n’est-ce pas ? une étude digne de Hogarth, mais ce n’est qu’une étude. Il se sent capable d’encadrer ces effrayantes physionomies dans une action dramatique qui en centuplera l’effet.

Que fera-t-il donc, puisqu’il dédaigne le portrait ? La peinture religieuse, qui, ailleurs, ouvre aux artistes les grands sujets et les grands espaces, est proscrite en Angleterre comme une idolâtrie.