Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’empêcha pas, son temps d’apprentissage terminé, d’ouvrir une boutique d’orfèvrerie, d’abord dans. Cranbourne-Alley, puis au coin de Cranbourne-street et de Leicester-Fields, dans la maison qui est occupée aujourd’hui par l’hôtel Sablonnière. L’enseigne était une tête de liège doré, qu’on appela plus tard la Tête de Hogarth. Tout en vivant de son travail manuel, William continuait ses études artistiques, il suivait les leçons de sir James Thornhill. Ce célèbre entrepreneur de peinture murale avait brossé, seul ou avec ses élèves, les voûtes de Saint-Paul, le plafond de Greenwich et nombre d’escaliers, à raison de 40 shillings le yard carré. Partout où il avait passé, il laissait derrière lui des Morts de Sophonisbe, des Continences de Scipion, des Alexandre passant le Granique et des Jupiters foudroyant les Titans. Hogarth a dû être le complice inconnu de quelques-uns de ces plafonds mythologiques, dont le temps et le charbon de terre ont fait justice. Mais Thornhill, malgré ses défauts, ne lui a pas été inutile à lui-même. La gravure sur métal l’avait habitué à la précision, à la finesse, à l’élégance, mais l’exposait à la timidité et à la sécheresse. En devenant l’élève d’un homme qui promenait sa brosse sur les parois des cathédrales et peignait à cinquante pieds de terre, il dut prendre un faire plus large ; il apprit à a masser, » à forcer les effets ; il chercha et trouva une moyenne entre l’infiniment grand et l’infiniment petit.

Il y avait une jeune fille dans la maison : suivant l’usage anglais, Hogarth en devint amoureux et lui fit partager cette inclination. Mais il n’y avait aucune apparence que sir James, chevalier, peintre du roi, et de plus membre du parlement pour le bourg de Weymouth, jetât sa fille dans les bras d’un boutiquier dont les sœurs vendaient on ne savait quoi, dans Cranbourne-Alley, et qui, lui-même, gagnait sa vie en composant des dessins d’ameublement pour le tapissier Morris, et en ramassant les commandes dédaignées par l’orfèvre Gamble. Avait-il fait mourir une seule Sophonisbe ? Avait-il fait passer le Granique, une seule fois, au roi de Macédoine ? Deux ou trois caricatures plaisantes, une illustration assez heureuse d’Hudibras, étaient-ce des titres suffisans pour devenir le gendre d’un Thornhill ?

William prit un parti énergique : il enleva Jane Thornhill. Qu’on se rassure : c’était un « enlèvement de convenance, » avec l’autorisation et la complicité de la mère. Restait à obtenir le pardon de sir James.

Tout d’abord, le beau-père malgré lui jeta feu et flammes. Jamais il ne reverrait l’élève ingrat ni la fille coupable. Ici se glisse la légende. Un matin, sir James trouva dans son atelier les dessins, encore inédits, qui formaient l’Histoire d’une courtisane, et que