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était inconnu du public, et qui, lui-même, ne paraissait pas bien sûr de ce nom : car il signait quelquefois Hoggart ou Hogard. Pour son siècle et pour la postérité, il devait s’appeler William Hogarth.

C’était une famille des comtés du Nord ; elle avait porté d’abord le rude nom saxon de Hogherd. Le grand-père était un paysan, le père un maître d’école, l’oncle un poète de village, dont on jouait les tragédies dans une grange, les jours de marché. Vers le commencement du règne de Guillaume III, Dominique Hogarth vint à Londres, non pour y faire fortune, mais simplement pour y gagner son pain. Il ouvrit une petite pension dans la ruelle la plus étroite du plus triste quartier de la métropole, presque à l’ombre des grands murs noirs de Newgate. Il était l’auteur d’un savant Dictionnaire latin, dont les éditeurs de Fleet-street ne voulurent pas. Le petit William, né en 1607, avait une quinzaine d’années lorsque son père la mit en apprentissage chez maître Ellis Gamble, orfèvre et graveur sur métaux, dans Cranbourne-street, au coin de Cranbourne-Alley.

Dès lors, chaque partie du vieux Londres avait sa population spéciale et sa physionomie distincte. Le commerce et la banque s’étaient réservé la Cité ; on commençait à abandonner au monde de la chicane les grandes résidences de Lincoln’s Inn, où s’était longtemps cantonnée l’aristocratie ; autour de Drury-Lane et de Covent-Garden, grouillait un monde bruyant et suspect. Cranbourne-street mettait ces quartiers divers en communication avec les demeures patriciennes, qui se groupaient, chaque jour plus nombreuses, entre le palais de Saint-James et Leicester-fields. C’était, — on le voit, — le centre de Londres en 1720 ; et l’établi de l’orfèvre était, pour observer, un poste incomparable. Tout en gravant des armoiries sur des plats et sur des calices, l’enfant voyait entrer dans la boutique de son maître les nobles titulaires de ces armoiries, que Le patron Gamble reconduisait tête nue, jusqu’à leur chaise. On ne pouvait pressentir encore le temps où les duchesses s’habilleraient plus simplement que les filles de comptoir, où huit cents ans de blason se promèneraient, le matin, en veston d’écurie et en chapeau rond. La vanité, au saut du lit, se chamarrait de cordons, s’étoilait de plaques d’ordres ; les habits, à force de broderies et de galons, se tenaient raides ; les robes étaient empesées d’or. Il n’y avait que les mendians qui pussent lutter de pittoresque avec les grands seigneurs : les mendians, ces caricatures vivantes, joie du crayon de Callot. Addison a pris la peine de décrire et de classer ceux qui encombraient Leicester-fields et ses abords, depuis « l’effronté, » qui s’annonçait en jouant de la trompette, jusqu’au a silencieux, » qui attendait l’aumône au lieu de la solliciter, mais l’imposait aux passans comme un hommage dû à la dignité de son