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l’équilibre sera rompu ne verront plus leur liquidation rétablir leurs affaires. Les liquidations seront toujours mauvaises parce qu’on aura consommé toutes les réserves au cours même de l’année et qu’il ne restera aucun actif au jour de la clôture pour compenser les dépenses supplémentaires dont le budget aura été surchargé. Mais, lors même que les innovations de la commission du budget seraient jugées avec indulgence, il faudrait encore savoir ce qu’elles nous coûtent, et il est incontestable qu’elles nous coûtent fort cher. Leurs conséquences sont graves : c’est d’abord de faire passer dans les attributions de la commission la préparation du budget qui était dans les attributions naturelles des ministères, ce qui porte un coup fatal au gouvernement parlementaire et ce qui constitue un acheminement à la suppression des ministères. De plus, c’est la désorganisation de nos budgets et, par une conséquence nécessaire, c’est la désorganisation de nos finances.

Le principe de l’unité de budget a été détruit parce que la préparation du budget par la commission rend impossible le vote total du budget pendant l’exercice. Le caractère préalable du budget périt en même temps que l’unité par l’obligation de recourir à des lois de finances provisoires comme conséquence du travail auquel se livre la commission. Le caractère annuel du budget est non moins menacé, car c’est sur l’impossibilité de faire voter un budget tous les ans qu’on s’est appuyé, en Allemagne, pour demander que le budget s’étendit à deux années, et un jour ou l’autre on fera valoir chez nous les mêmes motifs. Enfin le caractère comptable du budget est méconnu quand, par l’escompte des annulations, on se borne à autoriser par les lois de finances les mouvemens d’espèces. Le rôle du parlement est de veiller à ce qu’on n’engage pas le pays. Il ne se borne pas à surveiller le service de la trésorerie, il doit tenir à ce que l’administration ne puisse engager aucune dépense sans une autorisation préalable qu’on appelle un crédit.

Le travail de la commission du budget de 1885 est donc un travail qui n’a rien produit de bien, qui au contraire a produit beaucoup de mal, et qui peut en produire encore plus s’il sert de précédent, car il pourra nous mener loin. Personne ne sait aujourd’hui quand le parlement pourra être mis à même de voter un budget régulier, et le budget de 1886 ne peut être entrevu que dans un avenir très lointain. Ceux qui contemplent ces innovations de sang-froid et qui voient sans trembler la ruine de nos vieux budgets sont doués d’une confiance très robuste, mais ils se montrent encore plus ignorans que confians. Ils méconnaissent les liens qui attachent les effets aux causes. Ils pourraient apprendre très vite qu’il y a des fautes chères à payer.