Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

S’il y avait des rapporteurs réels semblables au rapporteur idéal dont nous avons fait le portrait, c’en serait fait du pouvoir ministériel. On n’en est pas encore là, et il y a heureusement quelque chemin à parcourir de l’Hôtel de Ville au palais Bourbon.

Les rapporteurs de la chambre des députés ne font pas la même chose, ou, du moins, s’ils font la même chose, ils la font autrement. Ce qui est malheureusement vrai, c’est qu’ils ralentissent l’action de l’administration en la détournant de ses devoirs naturels pour l’occuper tout entière à donner des explications, à fournir des notes, à dresser des tableaux. Si les rapporteurs amassent tant de documens, ce n’est pas uniquement d’ailleurs pour les mettre en annexes à la fin de leurs rapports et pour écrire un volume. Ils ne font pas comme l’homme excellent que tout le monde aimait à l’assemblée nationale, et dont l’innocente manie était de faire relier tous les ans en un beau volume les rapports qu’il avait écrits avec un soin extrême et dans un style étudié sur les lois d’intérêt local. Non ; les rapporteurs d’aujourd’hui ne font des enquêtes si minutieuses que parce qu’ils se sont donné une tâche nouvelle. Ils ont à préparer le budget. Du contrôle ils sont passés à l’action ; ils fournissent chacun à la commission, qui est le ministère des ministères, les moyens de construire un budget pour être soumis à la chambre.

La commission de 1884 a procédé à la préparation du budget à peu près dans les mêmes conditions que l’administration, et cependant, elle a fait 60 millions de francs d’économie sur les propositions primitives du gouvernement. Il est difficile de savoir pourquoi elle n’a pas été jusqu’à 80 ; rien n’était plus aisé ; il lui eût suffi, pour y arriver, d’appliquer jusqu’au bout la méthode ingénieuse dont elle s’est servie pour les 60 premiers millions.

Pour comprendre cette méthode, il suffit de jeter un coup d’œil sur un rapport quelconque. Prenons, par exemple, celui de M. Sarrien ; c’est sans contredit le meilleur des vingt rapports de cette année. M. Sarrien est un député très sage, très modéré ; fort au courant des questions budgétaires, il a été chargé du rapport du budget des dépenses du ministère des finances. Il a fait partie de toutes les commissions du budget de la législature actuelle. Il n’a jamais eu qu’une aventure financière : c’était à l’époque de la discussion du budget de 1882. Au cours de la discussion, il a imaginé d’introduire le fameux amendement connu sous son nom. Il l’a fait passer malgré les ministres et a eu la triste gloire de désorganiser pour longtemps le budget de l’instruction primaire. Son but avait été de décharger les communes du prélèvement sur leurs ressources, que la loi sur l’instruction primaire gratuite venait de leur