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là-dessus une belle partition d’hippodrome ! » A Dieu ne plaise que notre critique soit plus sévère que cet éloge !

On court à la Porte-Saint-Martin, on y courra tout l’hiver pour voir ces toiles peintes et ces broderies, ce cuivre et ces pierres fausses, — beaucoup plus, hélas ! que pour les beautés véritables du septième tableau et du quatrième. Il faut y courir aussi pour voir Mme Sarah Bernhardt. M. Sardou n’a pas dédaigné de glisser dans son rôle des allusions : certaine fugue du Théâtre-Français, à moins que ce ne soit à certaine fugue du Gymnase. En effet, c’est Mme Sarah Bernhardt, plus que Théodora, qui se roule et se déroule comme une couleuvre sur les coussins de ce trône ; c’est elle qui nous séduit et nous émeut par les grâces et par les grimaces de sa mimique, aussi bien que par les mélodies et par les éclats de sa voix. M. Garnier, à ses côtés, met la silhouette de Justinien en relief, et, comme disent les dessinateurs, il lui donne du caractère ; il est convaincu et vigoureux : c’est dommage que sa diction, trop souvent, devienne confuse. M. Marais représente Andréas : il est généreux et simple. Un acteur excellent par le débit et la tenue, c’est M. Volny sous la cuirasse de Marcellus. Mme Marie Laurent est parfaite dans le rôle de la vieille Égyptienne ; Mlle Mary Vallier est une Antonine agréable et correcte ; M. Luguet, un Bélisaire honorable, et M. Léon Noël un eunuque réjouissant. Les plus petits emplois sont bien tenus ; mais quoi ! auprès de Mme Sarah Bernhardt, toutes les étoiles pâlissent.

Aussi bien n’est-ce pas elle-même, la Théodora des mosaïques de Ravenne ? Rappelez-vous, à San Vitale, sous une coiffure basse, deux grands yeux qui dévorent un visage : — si menu, si délicat, ce visage, si accablé par les ornemens de la chevelure ! Avec Mme Sarah Bernhardt, M. Duquesnel, un peintre, un costumier, des figurans, mais sans papier ni plume ni encre, M. Sardou s’il en avait fait le pari, aurait mené à bien cette Théodora, ou du moins il l’aurait menée où nous la voyons. D’un tel homme nous attendions plus, et, ce que nous attendions, il montre en quelques parties de l’ouvrage qu’il pouvait le faire. Un mélodrame romantique, encadré dans une féerie historique, pour l’auteur de Patrie et de la Haine, ce n’est guère ; quelques scènes mises à part, Théodora n’est pas davantage. Si je vois d’abord le cadre, la puérilité du tableau m’étonne ; si je vois d’abord le tableau, c’est le charlatanisme du cadre : à quel parti me ranger ? Restaurateur de Byzance, M. Sardou l’est sans doute, mais sans avoir ressuscité des âmes ; il ne l’est pas comme l’auteur d’un drame, mais comme le poète d’une pantomime, le librettiste d’un ballet, ou l’inspirateur d’un panorama.


Louis GANDERAX.