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sollicité le nonce apostolique à Vienne d’arracher à l’époux de Marie-Thérèse l’autorisation de procéder contre quelques Florentins mal famés. Le devoir du prince était d’extirper les doctrines contraires à la foi, et il le pouvait faire sans nuire au repos du grand-duché. Ces rigueurs salutaires procureraient même au plus grand nombre une vive satisfaction. Ainsi placé entre l’enclume et le marteau, le prince époux se résignait à y rester, à ne rien faire ; on s’en tirerait comme on pourrait. Ce grand politique devait faire école en Toscane. Dans notre siècle même, le ministre toscan Fossombroni ne répétait-il pas sans cesse : « Le monde va de lui-même : Il mondo va dase ? »

Pour le moment, on ne s’en tirait point, et la guerre sourde continuait. D’une part, les interrogatoires : on avait fini par dire à Crudeli que les accusations honteuses du chevalier Minerbetti étaient cause de son incarcération. Lui, il protestait avec énergie : quelle apparence à ces turpitudes, puisque le baron prussien dont la maison en aurait été le théâtre n’était point inquiété ? Il se déclarait dévoué au grand-duc, ce dont l’inquisition se souciait peu, et même bon catholique, ce dont elle avait bien raison de douter. Craignant d’être empoisonné, il ne se nourrissait plus que de chocolat, comme si le chocolat ne pouvait contenir, dissimuler le poison ! D’autre part, ses amis le soutenaient de leurs encouragemens. Par l’entremise du frère geôlier lui arrivaient des perruques dont la coulisse, des habits dont la doublure cachaient des billets. Il recevait de fréquens bouquets de fleurs attachés avec des ficelles, pour que, de ces ficelles, il tressât une corde propre à l’aider dans son évasion. Mais la corde, évidemment, ne pouvait être prête du jour au lendemain.

A Rome donc, la congrégation du saint-office avait tout loisir pour délibérer, pour prononcer la sentence sur les pièces que lui soumettait l’inquisiteur florentin. Des dix-sept cardinaux qui la composaient, la plupart étaient d’avis d’élargir le détenu au prix d’une légère pénitence, ou tout au moins de l’admettre à se défendre contre des chefs d’accusation précis. Mais le promoteur de la bulle contre les francs-maçons, monsignor Feroni, secrétaire du saint-office, obtint que la sacrée congrégation exigeât un plus ample procès, ce qu’on appelait alors l’impinguatur, dût le prisonnier, comme on le prétendait, mourir en prison.

Si secrètes que l’inquisiteur Ambrogi s’efforçât de tenir toutes ces choses, elles transpiraient. Les intéressés, comme les curieux, ont l’oreille fine, et l’amitié de Luca Corai était aux écoutes. Grâce à lui, Richecourt connut presque en même temps les décisions de Rome et les menées de Florence, tout ce qu’on avait fait auprès du