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Pour l’y déterminer, ce directeur eut une inspiration de génie. Comme Pupiliani, et, dans le même temps, Minerbetti aspirait à la communion pascale. La pénitence traditionnelle à lui imposée au confessionnal fut qu’il s’irait dénoncer lui-même au saint-office, et il reçut, pour ce faire, une lettre d’introduction auprès de l’inquisiteur. Ce dernier, évidemment prévenu, tira un parti merveilleux du faible esprit qu’il avait sous la main. On sait que les menteurs, une fois embarqués dans une fourberie, s’y enfoncent de plus en plus pour n’être pas confondus : Corneille a rendu ce caractère immortel. Ainsi en fut-il d’Andréa Minerbetti. Après avoir répété ses fantastiques histoires, il alla jusqu’à nommer la personne qui l’aurait introduit chez ce Stosch, où il n’était jamais entré, un certain Giuseppe Cerretesi, qui fut plus tard impliqué dans le procès. Il prétendit avoir assisté douze fois à ces réunions, et peut-être convient-il déjà de dire ici, pour que le lecteur ne croie pas ses assertions véritables, qu’il devait lui-même, et formellement, les démentir ayant peu.

Interrogé s’il avait vu chez le Prussien certaines gens qu’on lui nommait, il en désigna bravement jusqu’à soixante. C’était trop de butin : le prudent saint-office dut faire un choix. Il jeta son dévolu sur trois victimes, dont la principale était Tommaso Crudeli. Déjà, depuis 1734, on accumulait sur lui de redoutables notes : les dénonciations de l’abbé Absurde, dont il a été question plus haut, celles du chevalier Minerbetti, qui racontait que le docteur exposait en latin ses doutes sur la religion et qu’il qualifiait d’âne saint Jean l’évangéliste, celles mêmes de Jacopo Crudeli, frère du docteur. Les deux frères étaient en froid, et il y avait probablement de la faute du mordant Tommaso ; néanmoins Jacopo aurait pu et même dû lui pardonner, car étant l’aîné de six enfans et favorisé par son père d’un majorât, il avait renoncé à cet avantage par affection pour ses cohéritiers. Et ce n’est point là une assertion en l’air : M. Sbigoli a vu les documens.

Mais, comme tant d’autres pénitens, Jacopo se confessait surtout des péchés d’autrui : il disait, agenouillé près de son confesseur, que son frère possédait et lisait des livres prohibés : la traduction de Lucrèce, par Marchetti, la Vie de frà Paolo Sarpi, celle de Sixte-Quint, qui se trouve aux œuvres de Gregorio Leti (prohibition par décrets du 10 juin 1659 et du 22 décembre 1700). Il y avait bien une circonstance atténuante, à savoir que Tommaso était en instance à Rome pour obtenir l’autorisation de lire ces ouvragés, mais le venimeux pénitent n’avait eu garde d’en souffler mot. Ayant reçu de son confesseur l’ordre de dénoncer son frère à l’inquisition, ce qui était enjoint aux parens en cas d’hérésie, « la religion