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prières, processions, exhibitions de reliques. Il fallait frapper un grand coup sur les Friméçonns : l’inquisiteur prononçait le mot comme les Anglais. Gaston, quoique mourant, n’avait pas voulu s’y prêter, non plus que ses ministres, et l’on ne pouvait raisonnablement espérer de son successeur plus de complaisance ; mais l’opinion, la crédulité publique, pouvaient lui forcer la main.

L’état de l’opinion nous est connu par un rapport bien curieux du résident de Lucques A son gouvernement. Ce résident n’était pas le premier venu : par ce qu’il croyait et pensait on peut juger, a fortiori, de ce que pensait et croyait la multitude. Il dénonçait la secte mandate, signalait ces réunions qui, toujours terminées par un banquet, par une orgie, se tenaient dans l’auberge d’un Monsiù Pasciò ; puis, comme on y faisait mauvaise chère, dans celle d’un Anglais, plus habile maître queux, nommé John Collios. Il désignait les principaux affiliés : un juif, trois abbés, des chanoines du Dôme, d’autres ecclésiastiques, des docteurs, des lettrés, Je sénateur ministre Rucellai. Puis, parmi les étrangers, plus dangereux parce qu’ils sont moins vulnérables, Charles Sackville, comte de Middlessex, second duc de Corset, grand seigneur de mœurs larges, poète si passionné pour la musique qu’il faisait représenter à ses frais des opéras sur les théâtres de son pays et de tous ceux où le portait sa fantaisie voyageuse ; un autre Anglais, lord Raymond, réputé libre penseur ; enfin, et surtout, le baron prussien Philippe de Slosch, cheville ouvrière de la redoutable société. Ce Tudesque, archéologue et numismate entendu, possédait A Florence une riche bibliothèque et une splendide collection de médailles, dont le trafic lui avait valu une fortune. C’était un de ces doctes, intrigans et aventureux, qui pullulaient au XVIIIe siècle. Dès sa jeunesse, en bon Allemand, il avait exercé le métier d’espion pour le compte de la Hollande ; plus tard, il était passé au service de l’Angleterre, et, pendant onze années, il avait espionné à Rome le chevalier de Saint-George, jusqu’au jour où le pape Clément XII, très favorable aux Stuarts, l’avait forcé à s’enfuir de la ville éternelle, car, comme l’écrit Horace Walpole, on le soupçonnait d’y faire, tout ensemble à la solde du prétendant et de la maison de Hanovre, son honnête métier. Il s’était alors retiré à Florence, pour l’y exercer encore, le plus près possible, mais assez loin pour avoir des loisirs, qu’il rendit lucratifs en se faisant brocanteur. Les plus mauvais bruits couraient à son endroit. Le président de Brosses rapporte, dans sa spirituelle correspondance, que, comme le baron Stosch visitait, A Versailles, le cabinet des médailles, le préfet Jacques Hardion, celui-là même qui fut avant Goldoni le maître d’italien des filles de Louis XV, s’étant aperçu de la disparition d’une pierre précieuse et connaissant toutes les