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quelque chose de la vivacité française, et il aimait les nouveautés. Or, comme sur le modèle des rois se façonne le monde, les Florentins, les Toscans s’habillèrent à la française, imitèrent nos mœurs légères et trop libres, dont ils retrouvaient, d’ailleurs, dans leur passé la tradition. Perdu de vices, corps épuisé, âme flétrie, Gaston, du moins, n’aimait ni les hypocrites ni les faux convertis ; il leur supprimait leurs pensions ; il défendait contre le clergé les droits du pouvoir civil ; il ne voulait point de persécutions : ce n’est pas sous son règne qu’on aurait vu, comme sous le règne de son père, un chanoine menacé du saint-office se jeter dans un puits. Il promettait même le supplice de la corde, l’amende, l’exil, la prison, à quiconque oserait faire violence aux juifs, leur enlever leurs enfans, « fût-ce sous le prétexte de les ramener à la sainte foi chrétienne. » Comme en France, les réunions dans les cafés et chez les libraires jouissaient d’une grande liberté de fait ; les attaques contre les princes, tant étrangers que toscans, y étaient seules interdites, sous peine de mort à vrai dire, par des placards que l’auditeur fiscal y faisait afficher. On osait ériger dans Santa Croce un monument à ce Galilée qui avait obtenu si difficilement pour ses os un coin de terre bénite. C’est en vain que les orthodoxes protestèrent contre cet honneur accordé à un hérétique ; leur vengeance fut que ce mausolée vraiment affreux déshonore le panthéon florentin ; mais il n’est pas le seul : la décadence de l’art, en ce temps-là, est un fait général, chez les libertins comme chez les croyans.

Deux années avant cet heureux scandale, en 1733, les Anglais, toujours en nombre dans cette Florence dont ils aiment la situation délicieuse et le ciel si doux, avaient profité de ce regain de liberté pour y créer une loge maçonnique. Cette société des francs-maçons, fondée, suivant eux, par Dieu le Père quand il fit le paradis terrestre, et, suivant les jésuites, par le diable, utile au moyen âge quand elle donnait une force à de vrais maçons, humbles grains de poussière, discutable sous sa forme moderne qu’elle venait de prendre aux Iles britanniques, avait déjà partout des adeptes, même parmi les princes : l’impératrice Anne de Russie y était affiliée ; François de Lorraine, bientôt grand-duc de Toscane, puis empereur, s’était fait recevoir apprenti, en 1731, dans une loge de La Haye, dont lord Stanhope, résident anglais en Hollande, était le vénérable ; en Angleterre, ce prince devenait bientôt maître, et on ne l’y appelait plus que a le frère lorrain. »

C’était donc un franc-maçon qui était destiné au trône toscan par la France désireuse de lui enlever la Lorraine, pour la donner au roi dépossédé de Pologne, Stanislas Leczinski. Tout d’abord, François ne plut point à ses nouveaux sujets : il était l’époux de l’ennemie héréditaire, la vertueuse, mais intolérante Marie-Thérèse.