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volonté, de courage et de désintéressement. On doit citer les noms de Flammarion, des frères Tissandier, de Fonvielle, et ne pas oublier celui d’un artiste spirituel et ardent, M. Nadar, qui eut une idée originale : il fit construire un immense ballon, le Géant, jaugeant 6,000 mètres cubes ; il voulait par l’attrait d’ascensions extraordinaires et de départs à grand spectacle, obtenir du public les sommes nécessaires à la construction de machines volantes plus lourdes que l’air, désirant faire payer aux ballons les frais d’entreprises destinées à les détrôner. Le malheur voulut que la tentative n’eût point de succès ; elle finit par une catastrophe. Nadar a raconté avec sa verve habituelle la chute de son ballon à la lisière d’un bois pendant un ouragan, le traînage de la nacelle, les accidens qui survinrent et les dangers auxquels il a miraculeusement échappé.

Le premier résultat de ces pénibles ascensions est la connaissance qu’on a acquise des effets physiologiques exercés sur les êtres vivans aux limites d’altitudes où la vie peut se conserver. Pendant les années 1862 et 1863, M. Glaisher fit trente ascensions ; la plus émouvante date du 5 septembre 1862. Lorsqu’il eut dépassé 7,000 mètres, M. Glaisher commença à sentir le mal des montagnes. La respiration devenait de plus en plus pénible et courte, les pulsations du cœur plus fréquentes, comme, si l’organe s’efforçait de suppléer au manque d’oxygène par la rapidité de ses fonctions ; les tissus se gonflaient sous l’action d’une pression intérieure devenue prédominante, la face paraissait plus grosse, les lèvres plus épaisses et noires ; puis la paralysie survint, élective et progressive ; elle se prit aux bras, aux jambes, aux muscles du cou ; la tête tomba ; on était dans l’impossibilité d’agir, de soulever même le doigt pour éviter la mort ; la vue s’obscurcissait et, quoique les idées fussent saines, nettes et sans souffrance, le corps peu à peu cessait de vivre. Enfin, l’évanouissement fut complet et dura treize minutes. Les dernières observations furent faites à 8,838 mètres et ne furent reprises qu’au réveil. Pendant cette éclipse de l’intelligence, le ballon avait continué de monter jusqu’à un maximum et commencé à descendre. Jusqu’où s’était-il élevé, c’est ce qu’il est impossible de déterminer exactement. M. Glaisher croit avoir atteint 11,000 mètres : on en peut douter ; ce qui est sûr, ce dont nous devons nous contenter, c’est qu’il avait dépassé 8,800 mètres, dépassé le Gaourichnaka, la plus haute montagne du Népaul et du monde, et que personne avant lui n’avait été si haut.

Après ces belles et dangereuses observations, il est permis de conclure que l’homme ne peut dépasser la limite moyenne de 8,000 mètres sans perdre ses facultés. Cependant, de récentes expériences permettent d’espérer que cette limite sera reculée un jour.