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milieu des tempêtes les plus affreuses comme dans le calme le plus complet : en ballon, il n’y a pas, il ne peut y avoir de vent.

Non-seulement nous n’avons aucune conscience du mouvement qui nous emporte, mais quand la vue de la terre nous manque, nous n’avons aucun moyen de le constater. La boussole, l’observation des astres, nous montrent bien de quel côté se place, par rapport à nous, le nord ou le sud, mais ne nous disent aucunement de quel côté notre marche est dirigée, puisque nous croyons être immobiles. Au-dessous des nuages, nous pouvons mesurer l’angle que fait avec notre boussole la ligne suivant laquelle fuient les objets qui s’éloignent en sens contraire de notre mouvement : au-dessus, nous sommes absolument perdus sans possibilité de savoir où nous sommes, si nous marchons et de quel côté nous marchons.

Puisque le ballon suit le mouvement de l’air, puisque, le vent, si puissant qu’il soit, ne s’y fait pas sentir, on ne peut s’en servir pour modifier en rien la direction vers laquelle nous sommes entraînés fatalement. Aucune forme spéciale de l’aérostat, aucun organe, ni gouvernail, ni aile, ni roue, ni hélice, rien ne peut changer ces conditions ni faire que le ballon obéisse à la puissance du vent, puisqu’il n’y en a pas.

La conséquence nécessaire de cette théorie est que, si on veut diriger un ballon, il faut une force ; il faut le munir d’un moteur capable de l’entraîner, d’un propulseur qui puisse au besoin lui faire remonter les courans d’air. Quand on veut faire marcher une voiture, on y attèle un cheval, un wagon exige une locomotive, un bateau des rameurs travaillant : l’oiseau n’a pas seulement des ailes, il produit la force musculaire qui les anime ; de même, le ballon doit être remorqué par une machine faisant du travail. Que cette machine soit un moteur animé, électrique, à vapeur, à gaz, peu nous importe en théorie, mais, quelle qu’elle soit, il en faut une. Telle est l’indiscutable nécessité que nous devons subir pour diriger un ballon.

Ce n’est pas tout d’avoir un moteur, nous devons encore chercher comment nous l’emploierons. C’est ici que se place la terrible question du point d’appui, de l’action et de la réaction. Prenons des exemples : on tire un coup de canon : la poudre enflammée produit un gaz qui se détend, c’est la force ; il chasse le boulet, c’est l’action ; mais la pièce recule, c’est la réaction. Seulement la pièce prend moins de vitesse que le boulet, parce qu’elle est plus lourde. Un animal détend ses muscles pour sauter, soyez sûr que la terre recule, mais elle est si incomparablement grosse que son recul est insensible. On exprime autrement