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II

La direction des ballons, que Charles croyait possible, ne devait pas être réalisée de si tôt. C’est un problème complexe que l’on a été longtemps à comprendre. Tout le monde a voulu s’en mêler, surtout les ignorans. Ils pensaient généralement que, si les vents suffisent à diriger les vaisseaux, ils peuvent rendre le même service aux ballons. On leur répondait que les conditions n’étaient pas les mêmes, que les navires prennent un point d’appui sur l’eau et que les ballons n’en ayant pas ne sont pas dirigeables par le seul effet du veut. C’est ce que nous allons chercher à expliquer.

Quand un ballon est captif, on voit la corde qui le tient s’incliner et osciller, suivant que les rafales augmentent ou diminuent. Dans ces conditions il résiste au vent, comme un arbre, une maison, comme la voile d’un navire retenu par l’eau, comme un cerf-volant tirant sur sa corde. Tous ces objets opposent une résistance parce qu’ils sont fixés ou qu’ils ont un point d’appui ; s’il vient à leur manquer, ils cèdent un vent et le suivent. « Le ballon que vous avez vu avant le départ fouettant l’air avec fracas de son taffetas encore assez flasque, luttant contre les cordages qui le retiennent à terre, tantôt soulevant les hommes de manœuvre cramponnés à la nacelle et aux cordes de l’équateur, tantôt repoussé contre le sol avec une telle violence qu’il semble vouloir s’y écraser, — ce ballon, une fois libre, part et file dans l’air sous l’ouragan, sans contre-heurt, sans secousse, sans oscillation, sans vibration. C’est l’athlète qu’on voulait lier ; il était indomptable, dans l’indignation de sa force contre tout joug. Le voici libre, il est tranquille. » (Nadar.)

Il est libre d’obéir à l’air qui l’entraîne et d’en suivre les mouvemens ;, et quand il l’a fait, le vent peut être fort ou faible, un ouragan ou un zéphyr, l’aéronaute ne le sent plus parce qu’il en fait partie ; les nuages qui sont autour de lui, voyageant de conserve, gardent leurs positions relatives, et comme il juge du mouvement par le déplacement des objets et que ce déplacement n’a pas lieu, il se croit immobile avec ce qui l’entoure, comme nous croyons être immobiles dans un wagon, sur un vaisseau ; comme nous croyons l’être sur la terre qui cependant nous emporte. Il voit la fumée d’un cigare, la flamme d’une bougie monter tranquillement, les cordes du ballon pendre verticalement sans bouger, les plis d’un drapeau rester au repos, et ses propres mouvemens s’accomplir au