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ont refusé d’aller à leurs cours, et bientôt de toutes les Villes d’université de l’Espagne sont arrivées des adresses d’adhésion à l’attitude des professeurs aussi bien que de la jeunesse des écoles de Madrid ; de sorte que voilà toute la population universitaire de l’Espagne en ébullition, en conflit avec le gouvernement !

Comment en finira-t-on avec ces agitations qui, sans être absolument menaçantes, ne laissent pas d’être toujours dangereuses ? Il faudrait évidemment commencer par ne mettre dans de telles affaires ni de vaines susceptibilités ni de trop vives passions. Il se peut sans doute qu’à l’origine, avec un peu plus de patience et de douceur, avec un peu moins d’impétuosité dans la répression, on eût eu facilement raison de ces turbulences, qui se seraient trouvées réduites du premier coup aux proportions d’une échauffourée inoffensive ; il se peut que les autorités de Madrid aient en cela manqué un peu de sang-froid et qu’elles aient pris un peu trop au tragique ces bruits d’étudians. C’est possible ; mais il est bien clair, d’un autre côté, que le gouvernement était dans le droit et dans la vérité en refusant de reconnaître des privilèges d’écoles qui n’existent plus, en maintenant l’autorité des lois ordinaires contre les protestations des professeurs. Il n’y a plus de corporations privilégiées en Espagne. S’il y a des désordres dans la rue, le palais de l’université n’est pas un lieu d’asile, et le droit commun entre là comme partout : c’est un principe supérieur que le gouvernement du roi Alphonse ne pouvait livrer et que l’opposition elle-même ne peut lui faire un crime d’avoir maintenu. Cette campagne d’agitation universitaire, dit-on, est dirigée moins contre le ministère conservateur dans son ensemble que contre une prépotence cléricale qu’on suppose représentée dans le cabinet par M. Pidal. C’est peut-être bien là le secret, et c’est aussi ce qui fait une position délicate au président du conseil, qui a du libéralisme dans l’esprit, qui, sans vouloir abandonner son collègue de l’instruction publique, n’est point certainement homme à subordonner les droits de l’état aux influences cléricales. La difficulté, pour M. Canovas del Castillo, est de se dégager le plus vite possible de tous ces incidens malencontreux et de ne pas laisser altérer par de faux airs de réaction le caractère du gouvernement qu’il représente, de rester, en un mot, un ministre conservateur sans doute, mais en même temps le ministre libéral d’une monarchie constitutionnelle qui n’a pas été une restauration d’absolutisme.


CH. DE MAZADE.