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n’est certes pas sans grandeur et qui est comme une suite d’un discours prononcé il y a quelques mois par M. Gladstone contre ceux qui parlent sans cesse du déclin de l’Angleterre ; mais s’il est une affaire où l’esprit politique anglais se montre tout entier, c’est cette affaire intérieure de la réforme électorale, pour laquelle on a livré tant de combats depuis quelques mois.

Les conservateurs, lord Salisbury en tête, ont résisté tant qu’ils ont pu, tant qu’ils ont cru la lutte possible. Le chef du cabinet libéral est resté ferme dans la défense de son bill ; il ne s’est laissé ni ébranler par l’opposition ardente des tories ni entraîner par le courant radical, qui menaçait déjà une des grandes institutions britanniques, la chambre des lords ; il a attendu le moment où la résistance s’épuiserait, où la réforme pourrait s’accomplir sans compromettre la constitution anglaise. Le jour est venu, en effet, où les conservateurs ont senti qu’ils ne pouvaient pas pousser l’opposition plus loin sans péril, qu’il y avait un intérêt public à ne plus résister, et, de son côté, M. Gladstone, comme chef du parti libéral, n’a point hésité à entrer en transaction. On lui a demandé des garanties pour le vote du bill des circonscriptions électorales qui complète l’extension du droit de suffrage, et ces garanties, il les a libéralement données en s’engageant pour la chambre des communes. Il a préparé, d’accord avec les chefs du parti conservateur, lord Salisbury, sir Stafford Northcote, ce bill des circonscriptions qu’il s’est obligé à soutenir, et le traité de paix a été signé. Les esprits extrêmes, les radicaux seuls, ont pu n’être pas complètement satisfaits ; ils ont été surtout mécontens de l’abandon du scrutin de liste dans l’arrangement consenti par M. Gladstone, et l’un d’eux, homme distingué, qui était secrétaire de la trésorerie, M. Léonard Courtney, a cru devoir donner sa démission pour reprendre sa liberté, pour combattre la mesure nouvelle ; mais ce n’était là qu’une opposition sans conséquence, qui ne pouvait changer le résultat. Le pacte signé par les chefs libéraux et conservateurs a été respecté jusqu’au bout. La chambre des lords a voté sans observations nouvelles l’extension du suffrage ; la chambre des communes, à son tour, a adopté en principe le bill des circonscriptions dont la troisième lecture a été réservée pour la forme, et le parlement s’est ajourné au 19 février après avoir entendu la lecture de la sanction donnée par la reine à une loi qui étend le droit de suffrage à deux millions d’hommes. Tout cela s’est passé sans bruit, non sans une certaine solennité, et a eu un profond retentissement dans la nation, qui s’est sentie délivrée de toutes les menaces de conflits. Qu’en faut-il conclure ? C’est que, si les Anglais défendent leurs opinions avec passion, avec âpreté, ils savent aussi transiger quand il le faut ; c’est le triomphe de l’esprit politique, et c’est ainsi que s’accomplissent les vraies réformes, celles qui sont bienfaisantes et durables, parce qu’elles ménagent la paix inférieure,