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communale. C’était un moyen sensé, rationnel, et c’est ce qui a été proposé au sénat. Si on ne voulait plus de la représentation communale, on pouvait encore se rattacher à l’élection directe du sénat par le suffrage universel, et c’est ce que M. Léon Say a soutenu avec une netteté singulière de raison et de parole ; c’est, même ce qui a été un instant voté par la chambre des députés. Les deux systèmes avaient au moins le mérite de procéder d’un principe, d’une idée politique, et de laisser au sénat une sérieuse autorité ; mais ce qui ne procède d’aucune idée politique, ce qui ne ressemble plus à rien, c’est ce qu’ont voulu faire les tacticiens de la révision, d’accord avec le ministère ; c’est cette combinaison qui a été adoptée, en fin de compte, qui ne respecte pi le principe de la représentation communale ni le suffrage universel, qui se borne à proportionner, selon des règles insaisissables, le nombre des électeurs sénatoriaux à l’importance des communes et des populations et pour en arriver là, pour arracher un projet tel quel à la confusion de ces débats où toutes les propositions se sont produites, où l’entente a paru plus d’une fois impossible, que n’a-t-il pas fallu faire ?

C’est ici réellement que la comédie a commencé, une comédie, à vrai dire, assez humiliante pour ceux qui l’ont jouée et pour les institutions. M. le président du conseil a été obligé d’employer toute sa diplomatie pour amener le sénat à renoncer au droit qu’il s’était réservé d’élire un certain nombre de sénateurs, pour décider la chambre des députés à se déjuger en abandonnant le suffrage universel qu’elle avait voté la veille, pour concilier les divers systèmes de proportionnalité adoptés dans les deux assemblées. Le résultat si péniblement conquis est un expédient absolument arbitraire, qui ne répond à rien si ce n’est à des arrière-pensées plus ou moins déguisées, et qui laisse le sénat affaibli, diminué, suspecté dans son origine. C’est là peut-être au fond ce qu’on voulait. M. le président du conseil lui-même s’est fait un devoir de ramener le sénat à la modestie ; il ne lui a pas caché qu’il était une assemblée subordonnée, qu’il pouvait tout au plus être un contrôleur utile sans avoir aucun droit de direction politique. La majorité républicaine du sénat n’a rien dit, elle a tout accepté ! Et c’est là ce que M. le président du conseil appelle pratiquer, fortifier le régime parlementaire, remettre en équilibre et en honneur le système des deux chambres ! Le dernier mot de cette révision du mois d’août est une loi dont l’unique secret est peut-être d’empêcher quelques hommes de revenir au Luxembourg. C’est la grande politique républicaine dans une de ses plus belles manifestations !

Le malheur est que tout va à peu près de même, et que, si cette politique joue avec les institutions comme avec les affaires extérieures, elle ne joue pas moins avec les finances, avec le budget, et, à propos du budget, avec tous les intérêts administratifs, militaires ou religieux.