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demandait des crédits s’élevant à 38 millions ; aujourd’hui on demande, on vient d’obtenir 16 millions pour la fin de l’année, 43 millions pour le commencement de l’année prochaine, et, dans l’intervalle de ces deux demandes de crédits, après tout considérables, qu’a-t-on fait ? On a continué à s’agiter sans marcher : on avait voulu aller à Lang-Son, et, après un revers dont le chef militaire chargé de l’expédition n’est nullement responsable, on n’a pas recommencé la tentative. On a voulu prendre l’île de Formose, et on ne l’a prise qu’à demi ou d’une manière bien incomplète, faute de forces suffisantes. Bref, on n’a rien fait ou à peu près ; on a sacrifié des hommes, dépensé près de 60 millions pour ne point avancer d’un pas depuis six mois, pour rester toujours en chemin. Et c’est vainement que, pour calmer les généreuses et patriotiques inquiétudes de M. le maréchal Canrobert, on nous assure que nos soldats ne sont pas sur la défensive, qu’ils peuvent marcher quand ils le voudront, quand ils en recevront l’ordre. Les faits sont évidens ; notre armée n’a pas marché au-delà d’un rayon limité, et elle a eu même à repousser les incursions chinoises. Voilà la vérité.

Ce n’est point la faute de nos soldats, non assurément. Nos soldats sont toujours prêts aux fatigues et aux combats, même aux épreuves comme cette dramatique nuit de Bac-Lé, où ils ont été un instant aux prises avec les plus cruelles extrémités ; ils ne cessent de montrer, on a raison de le dire, qu’ils sont dignes de leurs aînés. La faute est tout entière évidemment à la politique qui dirige la diplomatie et les opérations militaires, ou plutôt qui laisse tout aller à l’aventure, et c’est ici justement qu’est engagée la responsabilité du gouvernement et de la majorité de la chambre. M. le président du conseil floue visiblement entre le besoin d’agir, d’en imposer par un certain déploiement de force militaire, et la crainte d’avoir à demander de trop gros crédits ; la majorité de la chambre, après toutes les indiscrétions de ses commissions, accorde les crédits qu’on lui demande, vote des ordres du jour de confiance, et en même temps elle voudrait bien éluder devant le pays la responsabilité d’une guerre lointaine. Les uns et les autres veulent et ne veulent pas. La conséquence est cette politique qui jusqu’ici a laissé courir les événemens sans les diriger, sans les maîtriser par la fermeté et par la prudence, qui n’a su faire à propos ni la guerre ni la paix. A l’heure qu’il est cependant, où en sommes-nous ? L’Angleterre, à ce qu’il paraît, a essayé de jouer le rôle de médiatrice, et c’était peut-être l’explication d’une certaine temporisation ; malheureusement la médiation anglaise a échoué par l’arrogance de la Chine, qui ne veut plus même reconnaître le traité de Tien-Tsin : de sorte que, par le fait, nous sommes moins avancés qu’il y a six mois. Nous voilà en face d’une véritable guerre qui aurait pu probablement être évitée. Et lorsqu’on parle ainsi ! lorsqu’on fait